En mai dernier, Stephen et Tabitha King ont participé à une collecte de fonds en faveur des bibliothèques du Maine au cours de laquelle ils ont pris la parole pendant 1h d’échanges, menés par Sonya Durney. L’enregistrement audio de cet échange heure a été publié sur le site de la Maine Library Association.

Je vous propose ci-dessous la traduction de ce qui s’est dit, une très belle interview pleine de complicité, d’humour et d’amour entre “Steve et Tabby”.


Sonya Durney : Merci d’être avec nous ce soir.

Tabitha King : Nous sommes heureux d’être là.

*applaudissements*

Sonya : Je voudrais simplement partager que je vous ai tous les deux connus par le biais de vos écrits. À la fin des années 80, quelqu’un avait abonné ma grand-mère à “un livre de Stephen King par mois”. À un moment donné, elle s’est présentée à ma porte avec une boîte et les a laissés tomber en disant : “Sortez ces choses diaboliques de ma maison”. (*rires dans la salle*) C’est ainsi qu’a commencé ma collection de livres de King, et je n’ai jamais cessé de les lire depuis. Tabby, vous êtes également une écrivaine reconnue, une rédactrice astucieuse et une généalogiste experte. Vous êtes donc toutes les deux sacrément intelligents, comme nous aimons le dire ici en Nouvelle-Angleterre. Mais au-delà de cette intelligence, nous sommes ravis de vous accueillir car vous êtes d’ardents défenseurs de la communauté. Comme vous le savez, le thème de notre conférence de cette année est la défense des droits. Et personne n’a autant défendu les bibliothèques du Maine que vous deux. (*la salle les acclame*) Vous avez été de merveilleux défenseurs des communautés du Maine, en finançant généreusement des bibliothèques, des hôpitaux, des espaces publics et d’autres éléments qui aident réellement les communautés à prospérer. Commençons donc ce soir, si possible, par parler de votre histoire avec les bibliothèques. Êtes-vous allés à la bibliothèque quand vous étiez enfants ? Tabby, j’ai cru comprendre que la bibliothèque publique d’Old Town était votre bibliothèque d’enfance. Et Steve, nous avons appris que vous passiez beaucoup de temps près des bibliobus lorsque vous étiez enfant.

Stephen King : Oui, il y avait un bibliobus qui venait à West Durham, où j’habitais, et qui se garait devant l’ancienne école à classe unique, en été, et c’était génial. Nous l’attendions avec impatience.

Tabitha : Je vivais essentiellement à la bibliothèque municipale d’Old Town. Il y avait constamment une photo d’une peinture me représentant quand j’étais enfant. C’était parce qu’ils avaient besoin de savoir qui j’étais quand ma mère appelait pour savoir où j’étais. Mais en fait, ma mère n’a jamais eu besoin d’appeler parce qu’elle savait où j’étais. Pendant probablement 12-13 ans, c’était une partie importante de ma vie. C’était ma porte d’entrée vers le reste du monde.

Stephen : Je tiens également à dire que j’ai passé une partie de mon enfance à Stratford, dans le Connecticut, jusqu’à ce que nous revenions dans le Maine quand j’avais dix ans. Je me souviens très bien de la bibliothèque de Stratford. Je m’en suis servi dans un livre que j’ai écrit, intitulé Ça, qui parlait d’un mauvais clown. Mais le livre parlait aussi de la différence entre être un enfant et être un adulte, de ce que l’on gagne à l’âge adulte et de ce que l’on perd à l’âge adulte. Et cette bibliothèque avait une partie réservée aux enfants. Elle avait un bâtiment, et elle était reliée à un bâtiment en pierre beaucoup plus ancien qui était la bibliothèque pour adultes. Il y avait un passage entre les deux, entre la bibliothèque pour enfants et la bibliothèque pour adultes. À l’époque, la réalité de cette situation était qu’il s’agissait d’un simple couloir. En gros, on passait par là, c’était chauffé. Et je me suis dit, quand j’écrirai ce livre, je ferai en sorte que ce couloir soit vitré pour que l’on puisse voir les gens aller et venir. Parce que pour moi, les bibliothèques étaient un symbole d’intelligence, de lecture et de volonté d’ouvrir son esprit à d’autres choses. Et quand j’ai pensé à ce couloir de verre, j’ai pensé à la façon dont les enfants deviennent des adultes. Et j’aime cette capacité, ce symbolisme. Mais j’aime aussi la bibliothèque. Quand on était enfant, on pouvait avoir trois livres, et c’était tellement difficile de choisir ces trois livres. Mais à l’âge adulte, ma mère me donnait sa carte de bibliothèque orange et je pouvais aller à la bibliothèque pour adultes et en prendre autant que je voulais.

Tabitha : Je n’ai jamais été limitée. Je pouvais toujours prendre autant de livres que je voulais.

Stephen : Tu es quelqu’un de spécial, non ?

Tabitha : Et je l’étais !

Sonya : Votre histoire avec les bibliothèques ne s’est pas arrêtée là, n’est-ce pas ? Vous avez tous deux travaillé à la bibliothèque Fogler à l’Université du Maine, Orono, je crois que c’est là que vous vous êtes rencontrés, n’est-ce pas ? Pouvez-vous nous parler un peu de votre travail à la bibliothèque Fogler et peut-être un peu de votre histoire d’amour.

Stephen : Je ne sais pas comment ils appelaient ça, mais Tabby avait toujours une longueur d’avance sur moi parce qu’elle pouvait mettre en rayon, j’étais juste le gars qui faisait rouler les chariots. Je n’étais qu’une main-d’œuvre subalterne. Parle-leur de la photocopieuse, Tab.

Tabitha : Je me souviens pas de la photocopieuse.

Stephen : Oh tu ne t’en souviens pas ? Tu ne te souviens pas des gens s’asseyant sur la Xerox ?

Tabitha : Non, je n’ai jamais eu ça, ça ne devait être que pour toi.

Stephen : Ouais, bien. Ok.

Tabitha : En fait, j’ai une autre histoire à raconter sur la bibliothèque de mon ancienne ville. J’avais douze ou treize ans, je ne me souviens plus de l’été. J’ai passé cet été dans les archives des périodiques, une pièce de la cave où s’entassaient divers périodiques. Je ne pense pas qu’il y en ait encore dans les bibliothèques. Je pense qu’il n’y a plus que des documents numériques. Mais il y avait probablement 50 ans de périodiques de toutes sortes. J’ai parcouru l’histoire du début du XXe siècle de cette manière, en adoptant différents points de vue, et cela m’a appris que l’on peut raconter la même histoire en adoptant des points de vue très différents, et qu’il faut regarder d’où vient l’histoire pour évaluer son degré d’exactitude. C’était une éducation en soi, et pour moi, c’est vraiment ce que la bibliothèque a toujours été. C’est notre institution éducative par excellence. Elle nous accompagne depuis que nous sommes petits et que quelqu’un nous fait la lecture jusqu’à ce que nous soyons des personnes âgées à la recherche d’un nouveau roman policier à lire, mais pour moi, cela a été un moment très important, je pense que c’est lorsque j’ai obtenu mon diplôme à la bibliothèque, parce que j’ai lu ce genre de choses. Certains de ces articles n’auraient probablement pas dû être lus. J’ai vu mes premières pages sur l’Holocauste dans ces articles d’époque. C’est ainsi que j’ai obtenu mon diplôme à la bibliothèque de ma ville natale.

Stephen : Il est difficile de surestimer la valeur que vous représentez pour la communauté, le pays et le monde, car vous en êtes les gardiens. Si l’on remonte à l’Égypte, et même avant, le développement intellectuel, la compassion, toutes les émotions positives et la capacité de séparer les faits de la fiction et de développer l’imagination. Et en particulier dans un État comme le Maine, où il est encore parfois très difficile pour les enfants de trouver ce dont ils ont besoin pour se développer mentalement. Et c’est ce que vous apportez. Que Dieu vous bénisse pour ce que vous faites, car c’est extrêmement important.

Tabitha : Oh, et puis vous vouliez entendre parler de l’université et de nous. Je connaissais Steve avant de le rencontrer. Il a écrit une longue lettre, au journal des étudiants, comme toujours en train de s’exhiber. Et j’ai lu cette longue lettre.

Stephen : Tu adores ça.

Tabitha : Non, j’ai lu cette longue lettre et je me suis dit que ce type m’avait devancé. J’aurais pu écrire cette lettre. Il en a tiré une chronique dans le journal, ce qui m’a vraiment énervée. Puis j’ai fini par le rencontrer. Quelqu’un me l’a montré et m’a dit : “C’est Steve King. C’est un grand type qui titube et qui a des gommes à mâcher coupées.” Mais nous nous sommes rencontrés à la bibliothèque, et nous étions tout un groupe à y travailler, à prétendre y travailler. Nous avons perçu des salaires pour cela, mais je pense qu’il y a eu beaucoup de courses de chariots dans les rayons et de gifles pendant l’été. Mais c’était la bibliothèque. Je ne pense pas qu’elle existe encore sous cette forme. Je ne saurais pas m’y retrouver. Je ne saurais pas comment trouver une autre carte. Il y avait des catalogues de cartes, et je les classais dans le catalogue de cartes. Lui il a eu à s’occuper des étagères. C’est tout.

“King’s Garbage Truck” et photographie de couverture dans The Maine Campus (Orono), (Université du Maine), (1970). Vol. 78, n° 15, 15 janvier 1970. Un numéro du journal étudiant de l’université du Maine datant de la dernière année d’études de Stephen King à l’université.

Sonya : Je vais donc m’appuyer sur cette question et sur la course de chariots de livres. En faisant des recherches sur votre travail à la bibliothèque Fogler, je suis tombée sur un blog qui disait que l’origine de La Tour Sombre avait été écrit sur une rame de papier vert brillant de taille étrange dont vous aviez hérité. J’ai également écouté un podcast dans lequel Stephen disait que lui et Tabby avaient récupéré du papier vert à la bibliothèque, et commencé à écrire dessus…

Tabitha : Je n’ai rien à voir avec ça.

Sonya : J’ai une question pour vous et je vous laisserai un moment pour réfléchir avant de répondre. Je voulais m’assurer que vous avez été présentés à certaines personnes dans la salle. Avez-vous rencontré Daisy Dominguez ? Oh, Daisy est là ! Daisy est désormais la doyenne de la bibliothèque Fogler. (*la salle éclate de rire*)

Tabitha : C’était il y a longtemps ! Il y a très longtemps.

Sonya : Ou peut-être Joyce Grummery ? Joyce es-tu là ? Joyce a été doyenne de la bibliothèque Fogler et y a occupé des postes de direction pendant plus de 30 ans. Non pas que ça soit spécialement important, nous sommes simplement curieux. Le papier vert dont vous avez “hérité”, c’est quoi l’histoire ?

Stephen : En fait c’était… C’était la faute de Paul… C’était quoi son nom ?

Tabitha : J’ai oublié son nom. Ne l’identifie pas.

Stephen : Il travaillait à la bibliothèque et m’a dit qu’ils avaient des boîtes de papier qui ne servaient à rien parce qu’elles étaient trop lourdes, qu’elles étaient colorées et qu’elles ne passaient pas à la photocopieuse. Et il a dit qu’elles étaient vertes. J’ai perdu la tête, et j’ai désiré ce papier ardemment. Je veux dire, le papier était toujours très cher quand on avait un budget limité, même si on allait à la librairie, une ramette de papier coûtait un bras, en ce qui me concerne, probablement à l’époque, 2,50 dollars. Mais cela semblait beaucoup pour un enfant qui n’avait pas grand-chose. Et ce papier était fantastique en ce qui me concerne. J’avais une machine à écrire manuelle, et il suffisait de le rouler dans la machine pour en finir avec une page. Il s’agissait de longues feuilles rectangulaires qui formaient une sorte d’arc de cercle. Lorsque vous sortiez de la machine à écrire, vous deviez la redresser. Mais il y avait du papier vert, du papier jaune et du papier rose, et j’ai pris le vert. Et à ma connaissance, ma femme n’a rien eu à voir avec ça.

Tabitha : J’avais une meilleure machine à écrire.

Stephen : Oui c’est vrai.

Tabitha : Et c’est la vraie raison pour laquelle il m’a épousée. Cette machine à écrire lui a appartenu et est immédiatement devenue sa guérisseuse récompensée.

Stephen : Je veux dire, la machine à écrire c’était bien, le sexe c’était bien… (*éclats de rire dans la salle*) Il y avait toutes sortes de choses qui étaient bonnes…

Tabitha : Tout ce qu’il a dit n’est pas vrai. Cependant, j’ai eu l’occasion d’acheter une machine à écrire italienne. Elle était magnifique. C’était une Olivetti. Je l’ai achetée avec mon propre salaire. Il l’a utilisée.

Stephen : J’ai écrit Carrie sur cette machine à écrire. Running Man, je l’ai écrit sur cette machine à écrire. Donc, vous savez, oui, c’était bien. C’était une machine à écrire fantastique.

Sonya : Je pense que l’on peut dire sans risque de se tromper que nous sommes tous très heureux que vous ayez eu accès à ce papier et à cette bibliothèque. (*applaudissements*) Continuons à parler de bibliothèques, si possible, pendant un moment. Tabitha, vous avez fait partie du conseil d’administration de la bibliothèque publique de Bangor pendant de nombreuses années et vous avez mené une campagne de grande envergure pour rénover la bibliothèque. Ces dernières semaines, j’ai contacté des bibliothécaires du Maine pour leur demander l’impact que vous avez eu tous les deux dans le Maine. J’aimerais lire une citation de Ben Street. Ben est au fond, c’est le directeur. Ben a écrit que “leurs livres les ont rendus célèbres dans le monde entier. Mais l’une des principales raisons pour lesquelles les King sont aimés à Bangor est leur générosité envers la communauté, les parcs publics et les installations sportives, grâce à de nombreux dons significatifs, à la fois larges et ciblés. Mais rien ne revient plus souvent à Bangor que le soutien permanent des King à la bibliothèque publique de Bangor. Leur générosité à l’égard de la bibliothèque a commencé avant même le projet de rénovation de 1996. Ils ont joué un rôle public de premier plan dans ce projet. Ils ont mis leurs noms, leur temps, leur fortune et leur passion au service de la collecte de fonds qui a permis de transformer, de moderniser et d’agrandir un établissement vieux de 80 ans dont les espaces publics n’avaient pratiquement pas été rénovés depuis son ouverture en 1913.”
Si vous me permettez de m’étendre un peu, je sais que tout le monde veut entendre votre avis, pas le mien, mais je pense qu’il est important de planter le décor. Cette question est d’autant plus importante que l’infrastructure des bibliothèques américaines est vieillissante. Le bâtiment moyen d’une bibliothèque publique a plus de 40 ans. Ici, dans le Maine, nous avons de nombreuses bibliothèques. Nombre d’entre elles ont été construites grâce à la générosité d’Andrew Carnegie, qui pensait que les riches devaient donner pour que les pauvres puissent améliorer leurs conditions de vie et, par conséquent, la société. Carnegie a contribué à faire de ces bibliothèques publiques des instruments de changement, mais les communautés ont ensuite été chargées de les entretenir. Malheureusement, en raison de l’inadéquation des fonds d’investissement, il est très difficile pour de nombreuses bibliothèques d’aborder les problèmes de construction au niveau fédéral. Le Congrès n’a pas fourni de financement spécifique pour les bibliothèques depuis 1997. Au niveau national, les bibliothèques publiques ont des milliards de dollars d’actifs, d’installations et de besoins. La King Foundation a été très généreuse avec les bibliothèques du Maine. Au cours des dernières semaines, des dizaines de bibliothèques m’ont fait part de leur reconnaissance pour votre soutien. Je sais que vous n’aimez pas parler publiquement de votre soutien, mais je me dois de vous féliciter et de vous faire part de certaines choses que les gens m’ont racontée.
Nombreux sont ceux qui m’ont écrit au sujet du travail de votre fondation pour remplacer les infrastructures vieillissantes. Beaucoup m’ont parlé de la mise en conformité des bâtiments historiques avec la norme Ada, qui est si importante pour que tous les membres de la communauté puissent profiter des bibliothèques. D’autres m’ont parlé de la fourniture de générateurs pour que les bibliothèques puissent être des centres de réchauffement et fournir une alimentation électrique régulière. Non seulement vous avez modernisé des bibliothèques vieillissantes, mais vous avez également créé de nouvelles bibliothèques, telles que les bibliothèques Whitfield, dont les portes n’ont été ouvertes que récemment. Jusqu’à récemment, certaines communautés du Maine n’avaient pas de bibliothèque, et le directeur de la bibliothèque de cette ville a écrit que “chaque petite ville rurale du Maine méritait une bibliothèque publique, et nous pouvons maintenant dire avec fierté que nous en avons une. Les King ont joué un rôle important dans ce projet.”
J’ai ensuite entendu un autre directeur de bibliothèque que vous avez aidé à ouvrir une bibliothèque dans les années 1990, le directeur de la bibliothèque Faye O’Leary Halford à Allagash. La mère du directeur a créé la bibliothèque en 1998. La Fondation Stephen et Tabitha King lui a accordé une importante subvention de démarrage. Elle a demandé de nombreuses subventions à ces fondations et n’a jamais essuyé de refus. Randy Halford Johnborough a écrit : “Nous sommes vraiment bénis d’avoir reçu de l’aide de leur part. Cela nous a permis de faire partie du centre de la ville.”
J’ai presque terminé, mais j’ai reçu beaucoup, beaucoup d’autres courriels qui étaient très intéressants, c’est incroyable le nombre que j’ai reçu. Mais les King ont également accordé des subventions pour entreprendre la numérisation de l’histoire des villes et des journaux historiques. Un autre a écrit que “chaque contribution a joué un rôle clé dans les campagnes pour les projets qui ont fait de la bibliothèque un élément vital et dynamique de leur communauté.” Un autre a écrit que “l’expression de surprise agréable sur les visages de nos clients lorsqu’ils entrent dans notre établissement est l’un des plus grands plaisirs que le personnel éprouve.” Et quelqu’un d’autre a écrit que “nous serons à jamais reconnaissants de la générosité de Stephen et Tabitha King. Il est impossible de les remercier suffisamment”, et je pense qu’ils le résument parfaitement ici, en majuscules. Ils ont mis points d’exclamation.

Tabitha : J’ai l’impression qu’on vient de décéder. (*rires*) La bibliothèque publique de Bangor était ma bibliothèque à l’époque du lycée. Je devais prendre le bus entre Old Town et Bangor pour aller au lycée et il m’arrivait souvent de rater le bus, généralement volontairement, et de passer mon temps à attendre le prochain bus à la bibliothèque de Bangor, qui disposait alors d’une salle de lecture en sous-sol qui était toujours fraîche en été. Elle disposait de toilettes publiques avec des chasses d’eau au plafond. C’était un endroit spécial, unique. J’ai lu beaucoup de livres assise sur ces chaises recouvertes de vinyle. Lorsque la bibliothèque a été rénovée, j’ai demandé à ce que l’on conserve l’une des toilettes suspendues de la salle du conseil. (*applaudissements et rire*) Je ne sais pas s’il est toujours là. Pour ce que j’en sais, elles ont disparu aujourd’hui, mais j’ai pensé qu’il était important de se souvenir de l’histoire de la bibliothèque de cette manière. Je m’intéresse à l’évolution historique de l’hygiène. Je collectionne donc les pots de chambre. (*rires*) Mais ces toilettes étaient pour moi une telle merveille mécanique. Elles étaient si belles. Elles étaient comme tant d’autres objets fabriqués à l’époque. L’artisanat, le bois, tout était magnifique. Mais c’est une autre histoire.

Bibliothèque de Bangor, Maine.

Stephen : Je pense que la plupart d’entre nous, parce que nous sommes ce que nous sommes, avons tous des souvenirs de bibliothèques et de livres. C’est un endroit où l’on tombe amoureux des livres. Et quand on tombe amoureux des livres, on tombe amoureux de la pensée. Et cela m’a rendu possible. Et je ne vois rien de mieux à faire avec de l’argent que de donner aux bibliothèques. Mais je dois dire aussi que c’était l’objectif principal de Tabby depuis le début. Nous avons créé une fondation pour distribuer de l’argent parce que nous le pouvions, et Tabby en a été le cerveau, de par la façon dont elle a été construite. Elle a dit : “Nous voulons que cela reste local autant que possible. Nous voulons rester dans le Maine” parce que, soyons honnêtes, nous sommes des ploucs, Tabby et moi. (*rires*) Elle vient d’une petite ville, et moi d’une ville encore plus petite, encore plus plouc. C’est pas grave. Et il n’y a rien de mal à ça. C’est une bonne chose à faire. Mais nous nous rendons compte que beaucoup de villes n’ont pas d’activités à offrir. Et nous réalisons aussi que le Maine est plein de vieux croutons qui disent “Moi de mon temps ça me suffisait, bon sang de bonsoir. Les enfants aussi devront s’en contenter.” Eh bien, non, ce n’est pas le cas. Il faut que ce soit un peu mieux. Chaque génération est un peu meilleure. Alors Tabby a dit : “Nous allons le garder dans le Maine autant que possible”. Puis elle a ajouté que nous avions deux priorités. La première, ce sont les services d’incendie et de sauvetage, et ce genre de choses. Les mâchoires de la vie, c’est ça ?

Tabitha : C’est ça.

Stephen : Et l’autre chose, ce sont les bibliothèques. Nous devons nous occuper des bibliothèques et les rendre aussi modernes que possible. Si vous avez besoin d’ordinateurs, si vous devez vous moderniser, si vous devez avoir le WiFi. L’une des choses auxquelles j’aime penser, c’est que nous vivons dans une petite ville du Maine et qu’il y a deux bibliothèques, dont l’une est la bibliothèque Charlote Hobbs, au centre-ville. Quand je dis centre-ville, il s’agit d’un grand centre-ville métropolitain. Lovell n’a pas de centre ville, mais c’est un vaste endroit sur la route. Il n’y a même pas un clignotement des lumières. Mais le fait est que la bibliothèque est agréable. Et finalement, ils ont installé le WiFi, et quelqu’un est passé à la maison et a dit, “vous savez, il y a beaucoup de voitures garées en face de la bibliothèque, et elles restent là, pendant que les gens venaient profiter du WiFi”. C’était génial. Et qu’est-ce que je peux dire ? Je veux dire, nous avons tout dit. D’une certaine manière, les bibliothèques sont un sujet important.

Tabitha : Les livres sont un sujet important.

Stephen : Les livres sont un sujet important, oui.

Tabitha : Il est intéressant de voir le mouvement des bibliothèques gratuites (boîtes à livres en français, ndlt), où les gens prennent leurs livres usagés et les placent sur des étagères ouvertes ou fermées quelque part dans le quartier, pour les partager. C’est une chose remarquable à voir. C’est fini maintenant.

Stephen : Si les livres n’existaient, je serais en train de servir de l’essence à une pompe quelque part… (*rires*)

Tabitha : Probablement.

Stephen : Et tu travaillerais chez Dunkin’Donuts, parce que tu es plutôt mignonne dans cet uniforme, je peux te le dire. (*rires*)

Tabitha : Quoi qu’il en soit… Les livres sont notre mémoire collective, car nos vies sont très courtes. Mais vous le dites souvent quand vous avez 73 ans, notre vie est plus derrière nous que devant nous, et nous en sommes donc très conscients. Mais les livres de la bibliothèque, leur pensée et leur mémoire, parce que nous ne sommes pas là pour raconter les histoires pour toujours et à jamais, certaines de ces histoires sont vraies. Certaines sont bien racontées. D’autres sont des fadaises. J’ai souvent pensé que nous pourrions avoir beaucoup de discussions sur ce qui est de la fiction et ce qui ne l’est pas. Très souvent, je pense que la fiction est bien plus vraie que ce que nous appelons les faits ou la non-fiction. Je ne fais pas confiance aux biographies et aux autobiographies. Il faut les prendre avec du sel. Néanmoins, si vous en lisez suffisamment, et c’est ce que vous êtes censé faire, vous en lirez plus d’une. Continuez à lire, et vous verrez où sont les partis pris. Vous voyez où sont les points de vue, et vous apprenez à le faire. La bibliothèque nous apprend donc à penser tout en nous fournissant toutes les données sur les incendies et les guerres qui ont eu lieu. C’est une partie de sa fonction en tant que partie éducative de notre communauté, mais c’est aussi l’endroit où nous nous réunissons entre générations passées et présentes. Vous pouvez lire Ben Franklin, vous pouvez lire le dernier, peu importe, John Sanford. Et c’est le monde entier. C’est littéralement comme des portes qui s’ouvrent partout, sur toutes les planètes, à toutes les époques, dans tous les métaverses, etc. Il me semble donc que c’est un peu le cœur et l’âme de la communauté. Il est frappant de constater que dans les petites villes du Maine, les bibliothèques ont toujours été créées par quelqu’un qui a dit : “Prenons ce placard de la mairie et mettons-y tous nos livres en trop pour que les gens puissent les emprunter “, et c’est ce que l’on voit. C’est ce qui se passe toujours dans les villes qui n’ont pas eu de bibliothèques Andrew Carnegie. Il semble donc que nous ayons un instinct pour cela.

Sonya : Je vous remercie. Parlons un peu de votre travail au sein de la fondation. Il est évident que vous travaillez beaucoup avec les bibliothèques. Vous avez créé votre fondation en 1986 pour soutenir les communautés du Maine. Quels étaient vos objectifs initiaux ?

Stephen : Pour aider les communautés, je pense que les bibliothèques sont très importantes, en particulier dans les parties de la communauté où il y a des difficultés financières, et elles ont fait partie de la première impulsion de la fondation où une grande partie de l’argent est allée parce que nous avons constaté que dans de nombreuses situations – Stephanie, la sœur de Tabby, est chargée de rassembler les demandes – nous avons constaté à maintes reprises que les bibliothèques s’adressaient à nous parce qu’elles n’arrivaient pas à obtenir de l’aide des villes. Pourquoi ne pouvaient-elles pas s’adresser aux villes ? Parce que, bien souvent, les bibliothèques ne sont pas une priorité pour la ville. Les routes doivent être réparées, les ordures doivent être ramassées. Les routes doivent être déneigées en hiver. Il y a toutes sortes de choses qui relèvent de la vie quotidienne. C’est pourquoi les bibliothèques sont souvent laissées pour compte. Ensuite, nous avons constaté que de nombreux services de pompiers volontaires, en particulier dans le nord, dans le comté, avaient beaucoup de mal à se doter d’équipements, qu’il s’agisse de pinces de désincarcération ou de bateaux pour aller secourir les gens. Les équipements de secours. Nous faisons donc ce que nous pouvons. Nous restons aussi locaux que possible. C’est tout ce qu’il y a à faire.

Tabitha : Il s’agit de soutenir la communauté, tout ce qu’elle fait.

Stephen : Ce n’est pas sorcier, vraiment. Il faut juste se dire que l’on veut faire ça et qu’on veut le faire le plus possible, et que l’on ne veut pas trop en parler. Et comme il s’agissait d’une occasion spéciale, nous l’avons fait. Mais franchement, c’est très embarrassant. (*rires et applaudissements*)

Sonya : D’accord, alors passons à autre chose. Mais j’ai encore une question à propos de votre fondation. Quels sont vos objectifs futurs ? Nous savons que vous changez les choses à la résidence West Broadway et que vous mettez en place des archives et une retraite pour les écrivains. Je suis sûre que tout le monde aimerait en savoir un peu plus à ce sujet, si vous le voulez bien.

Stephen : Nous sommes maintenant résidents de Lovell, et Bangor est devenu un peu “fou” pour nous. Beaucoup de gens sont venus, et je pense qu’il y avait des bus de tourisme et ce genre de choses. Un après-midi, j’ai sorti mon chien qui essayait de faire ses besoins et j’ai entendu clic-clic-clic. C’était un bus touristique rempli de Japonais qui prenaient tous des photos de mon chien en train de chier. C’était une sorte de point de rupture. Mais nous en sommes arrivés à un point où nous nous sommes dit qu’il fallait en faire quelque chose. Et encore une fois, vous voulez faire quelque chose pour la communauté, et nous voulions faire quelque chose pour rendre la pareille aux universitaires et pour créer un endroit où les gens pourraient se rencontrer et organiser des séminaires et ce genre de choses. C’est vrai. Tab, tu veux ajouter quelque chose ? Vas-y.

Tabitha : Non, je n’ai pas besoin d’ajouter quoi que ce soit. C’est assez évident.

Stephen : Nous avons donc constitué des archives, et je considère ces choses comme des peaux mortes. Quand c’est fait, c’est fait, et je passe à autre chose. J’aime tous mes anciens livres, je m’en souviens et j’y pense avec beaucoup d’affection, mais je veux créer aussi longtemps que possible. Et cela a laissé une trace de beaucoup de papier, qui se trouve dans les archives. Et j’espère que les gens, s’ils s’y intéressent plus tard, auront l’occasion de l’étudier et de faire ce que font les universitaires, c’est-à-dire mâcher les choses, puis les mâcher à nouveau. Les mâcher à nouveau.

Tabitha : Un peu comme l’un de nos petits-fils. Nous avons un petit-fils d’un an qui est un jumeau. C’est le jumeau diabolique.

Stephen (en riant) : Jumeau diabolique.

Tabitha : Il mange des livres ! Il comprend la culpabilité et la honte. Il sait qu’il a tort. Il a disparu lors de ma dernière visite, derrière une chaise, et son père a dit qu’il faisait quelque chose. Et quand nous sommes allés derrière la chaise, il mangeait un livre.

Stephen : C’était un livre de Dorothy Sayers, non ?

Tabitha : Oui, “Whose Body”, je l’ai adoré. Je l’avais retiré de l’étagère parce qu’il tombait en ruine et je l’ai malheureusement laissé là où l’enfant pouvait l’attraper.

Stephen : Quelque part dans ces archives, il y aura les premières pages de Shining, qui ont été écrites et coloriées par mon fils Joe, qui est aujourd’hui écrivain, qui a trouvé le manuscrit et a dessiné dessus. Et je me suis dit qu’il fallait que je sorte de cette maison.

Tabitha : Et dans ces archives, je crois qu’il y a des manuscrits sur du papier vert… (*rires*) et du papier vert inutilisé. Joe va publier en 2025 un livre intitulé King Sorrow, vous n’allez pas vous en remettre. Et Owen a publié cette année un livre intitulé The Curator, qui a fait l’objet d’une tournée, et qui a été très bien accueilli. C’est une lecture fascinante.

Stephen : Un roman fantasique de fantasy.

Tabitha : C’est du Dickens, mais il y a aussi ces petits clins d’œil à l’humour d’Owen, si vous avez déjà lu son œuvre, vous voyez ce que je veux dire. Cela se passe donc bien. L’autre romancière de la famille est Kelly Braffett, qui a épousé Owen, et elle travaille sur la troisième partie de la trilogie sur Broken Tower qu’elle a publiée. Je ne sais pas quand cela sortira, mais j’espère que je pourrai bientôt lire tous ces manuscrits. Et jusqu’à ce que Joe épouse sa seconde femme, je mettais la main à la pâte. Malheureusement, il a épousé son ancienne éditrice britannique et j’ai perdu mon emploi, et j’en ai tellement parlé qu’il m’a remis le livre de Saul lorsqu’il l’a terminé pour que je puisse y fouiller.

Stephen : C’est une bonne éditrice. Tab est une bonne éditrice. J’ai jeté les 1314 premières pages de Carrie parce qu’il allait être trop long et parce que je ne savais pas de quoi je parlais. Elle l’a sorti de la corbeille à papier et a enlevé toutes les cendres de cigarettes. Si vous allez à la bibliothèque publique d’Old Town et que vous voyez cette photo de ma femme enfant, vous verrez qu’elle a un petit sourire sur le visage. C’est une sorte de sourire de côté avec les lèvres fermées. Et j’adore ce sourire. J’en suis fou. Et c’est ce sourire qu’elle arborait ce soir-là. J’ai dit que je ne savais rien sur les filles qui ont leurs règles ou de leurs vestiaires. Mais maintenant avec Ron DeSantis on ne peut plus parler de tout ça de toute façon… (*rires*)

Tabitha : Ça n’existe même plus !

Stephen : Les filles de onze ans n’ont pas de règles, donc nous n’avons pas à nous inquiéter de cela de toute façon ! (*rires*) Tab a donc sorti les documents, les a étalés et les a lus. Et j’ai dit : “Je ne sais rien du tout. Je ne vais pas continuer parce que je ne comprends rien aux filles de cet âge.” Et elle m’a dit, avec son sourire, “je vais t’aider”. Et c’est ce qu’elle a fait.

Tabitha : Quand il ne m’écoute pas, je le punis. Duma Key… Je n’ai pas besoin de vous dire quoi que ce soit à ce sujet. Je peux juste vous dire qu’il y a eu une discussion à propos de ce livre et qu’il n’a pas fait ce que je voulais.

Stephen : Mais la plupart du temps, je le fais. Tu te souviens de cette histoire avec Danny Coughlin ? J’ai intégré le frère !

Tabitha : Oui.

Stephen : Peu importe, c’est un litige domestique ! (*rires*)

Sonya : Ron DeSantis est la transition, idéale pour la question suivante. Parlons un peu de la liberté de lire, si vous le voulez bien. L’American Library Association a recensé plus de 1 200 demandes de censure de livres et de ressources de bibliothèque au cours de la dernière année 2022. Il s’agit du nombre le plus élevé de tentatives d’interdiction de livres depuis que l’American Library Association a commencé à compiler des données sur la censure il y a plus de 20 ans. La plupart de ces tentatives d’interdiction de livres ont eu lieu dans des bibliothèques scolaires, mais certaines ont également eu lieu dans des bibliothèques publiques. Ce qui est vraiment frappant dans ce qui se passe aujourd’hui, c’est qu’il ne s’agit pas seulement d’un parent qui tente de censurer un livre. Il s’agit de personnes qui trouvent de longues listes de livres obtenues sur les médias sociaux dans des groupes de censure organisés et qui essaient de les censurer. Nous constatons également une augmentation des contestations de censure dans le Maine. Les justifications les plus courantes sont les thèmes LGBTQI, les livres considérés comme sexuellement explicites, l’éducation sexuelle et les contenus EDI tels que la justice sociale, la race et le racisme. Ma question est donc la suivante : quelle est votre réaction face à cette situation ? Et que diriez-vous à ceux qui appellent à la censure ?

Stephen : Je dirai simplement ceci. Je pense qu’il devrait y avoir des listes de livres censurés ou menacés de censure. Ces listes devraient être envoyées à tous les enfants et les gens devraient leur dire : “Voilà ce que vos aînés ne veulent pas que vous lisiez. Voici ce que vous devez savoir. Allez chercher ces livres tout de suite.” (*applaudissements*) La plupart du temps, les enfants n’ont pas les moyens d’acheter ces livres dans une librairie. Et dans beaucoup de villes du Maine, il n’y a pas de librairie. Qu’est-ce que le tribunal de dernier recours ? Le tribunal de dernier recours, c’est la bibliothèque. Et cela signifie qu’il faut se battre, se battre pour que ces livres restent sur les étagères. Beaucoup de gens dans ce pays croient fermement aux armes à feu et au droit de porter des armes, et ils hurlent au sujet du deuxième amendement. Eh bien, devinez quoi ? Il y a aussi un premier amendement. Il vous donne le droit de lire. Et cela signifie que quiconque essaie de censurer ces livres, de les supprimer, essaie de vous imposer une volonté qu’il n’aurait pas pour des machines à tuer comme l’AR 15. Voilà ce que j’ai compris. (*applaudissements*)

Tabitha : L’Union soviétique est tombée parce qu’elle ne pouvait pas contrôler l’information. Elle a essayé, mais au fil des décennies, sa population a fini par découvrir qu’il existait des endroits dans le monde où il n’était pas nécessaire de faire la queue pendant deux heures pour obtenir un rouleau de papier hygiénique. Cela a fini par entraîner la chute de ce pays ou de ce gouvernement. L’information est fluide, de plus en plus fluide. Vous ne pouvez pas la contrôler. On reçoit de mauvaises informations. C’est en partie ce dont s’occupe l’éducation, en essayant d’enseigner aux gens la différence entre les bonnes et les mauvaises informations. Mais vous ne pourrez pas la contrôler, quels que soient vos efforts. Et ce désir de censure est en partie un retour de bâton contre l’État lui-même. L’information est si fluide et si accessible qu’ils ne pourront jamais empêcher les gens d’y accéder. Tôt ou tard, ils s’en emparent. Et une grande partie de ce qui se passe est en fait un retour de bâton contre le changement de culture de la population. Il s’agit littéralement d’un retour de bâton d’une minorité. Et nous leur survivrons ou ils leur survivront. Je suppose que je suis fière d’appartenir à cette tranche d’âge, alors je serai là aussi. Mais je suis très enthousiaste à propos des enfants. Ils sont formidables. Cela a commencé avec les enfants de Marjorie, Stone et Douglas, et cela continue avec les enfants de la génération Z. Et lorsque nous parlons de la génération Z, je parle d’une génération qui a grandi avec la menace d’un massacre dans leurs écoles. Ils ont la tête sur les épaules, et les choses vont changer. Nous devons juste attendre, et se battre avec eux.

Stephen : Par ailleurs, il faut toujours se rappeler que lorsque quelqu’un décide d’interdire des livres, il faut d’abord lui dire que s’il ne l’a pas lu, il n’a rien à faire dans cette discussion. Non, ce n’est pas possible. Vous ne pouvez pas participer à cette discussion. Un groupe de parents vient à une réunion du conseil d’administration de l’école et dit : “Êtes-vous leur dieu ? C’est moi, Margaret.” S’ils n’ont pas lu ce livre, sortez d’ici. Sortez d’ici. Vous n’avez rien à faire dans cette discussion parce que vous ne faites qu’enfourcher une sorte de cheval de bataille politique. Vous avez une volonté politique, et c’est souvent le cas. Lorsqu’ils s’intéressent aux LBGTQ XYZ et à tout cela, il s’agit essentiellement de personnes qui disent : “nous ne voulons pas que nos enfants lisent sur ce sujet parce que nous ne voulons pas qu’ils en soient informés”. Il s’agit d’une suppression délibérée d’idées intellectuelles et d’un va-et-vient qu’il faut combattre à chaque étape. Ce n’est pas près de s’arrêter, n’est-ce pas ? Ce n’est pas près de s’arrêter. Pas avec le climat politique qui règne actuellement en Amérique.

Tabitha : Je pense qu’il y a déjà une résistance significative, et que cela va s’améliorer.

Stephen : Oui, c’est vrai.

Tabitha : Les gens vont découvrir que les choses pour lesquelles ils ont voté ne sont pas populaires. Ils vont perdre leurs listes de signatures législatives. Et les gens continueront à être libres.

Stephen : Mais vous êtes en première ligne, vous tous. Vous êtes en première ligne.

Tabitha : Salman Rushdie, lui, a perdu un œil. Et l’usage d’un bras à cause d’un type qui n’avait pas lu le livre. Et la fatwa a été initiée par un type qui n’avait pas lu le livre. Ils n’ont toujours pas lu le livre. Ils ne sont pas qualifiés. Je pense que nous sommes tous d’accord sur ce point. C’est bien. (*applaudissements*)

Sonya : En tant qu’écrivains, l’un ou l’autre d’entre vous a-t-il été confronté à des tentatives d’interdiction ou de censure de livres ?

Stephen : Oui, beaucoup de mes livres ont été interdits dans les bibliothèques scolaires, et j’en suis très fier. Vous trouverez beaucoup de bibliothèques scolaires qui possèdent des exemplaires de Ça, de Cujo ou de tout autre livre avec beaucoup de sexe. Jessie, Dolores Claiborne, qui traite de l’abus d’une femme adulte et d’une enfant. On ne trouve donc pas ce genre de livres dans les bibliothèques scolaires. Et ce n’est pas grave, car on les trouve dans les librairies et dans les bibliothèques pour adultes, les grandes bibliothèques. Et je dirais simplement que si vous voulez lire ce livre, allez le chercher. Et je vais vous dire. Quand j’étais petit, un écolier m’a apporté un exemplaire de Blackboard Jungle, avec la photo d’une fille. Oui, une fille à forte poitrine, avec un haut décolleté, un jean moulant et tout le reste. Le professeur est arrivé, a arraché le livre et m’a dit que je ne devais pas lire ce livre. Et je me suis dit : “Eh bien, attendez que j’aille à la bibliothèque. Je vais prendre ce livre tout de suite.” Et c’est ce que j’ai fait.

Sonya : Vous avez donc tous les deux une réputation d’activistes. Steve, vous êtes assez prolifique sur Twitter pour faire part de vos opinions politiques à vos nombreux abonnés. Vous avez également pris part à des activités de plaidoyer par le biais de vos écrits. J’ai récemment participé à la visite de SK Tours à Bangor, qui est excellente et que je recommande vivement. J’ai appris qu’en 1984, trois adolescents de Bangor ont harcelé, agressé et assassiné Charlie Howard parce qu’il était homosexuel. On l’a laissé mourir sous un pont à Bangor et le reste de la communauté a été consterné. Votre indignation face à l’homophobie et à la cruauté si proches de chez vous a inspiré une scène du livre Ça. Cette scène a non seulement inspiré votre écriture, mais elle a également permis de sensibiliser le public à ce crime horrible. Vous avez donc choisi d’utiliser votre plateforme pour sensibiliser le public. Tabitha, vous avez reçu le prix “Maine Humanities Council Constance H. Carlson Public Humanities” pour récompenser votre militantisme en faveur de la lecture et des programmes d’alphabétisation. Vous avez également reçu le prix Marianne Hartman, qui récompense les femmes dont les réalisations sont une source d’inspiration pour d’autres femmes. Pourtant, même si vous êtes une source d’inspiration pour d’autres femmes, nous continuons à voir des titres comme celui-ci : Stephen King virgule épouse donne 1,25 million à la société généalogique. Et vous vous souviendrez que j’ai dit au début qu’elle était une généalogiste experte, mais c’était “Stephen King et sa femme”. Donc à ce sujet Steve a tweeté, “ma femme est à juste titre énervée. Le cadeau était son idée originale, et elle a un nom : Tabitha King.” Tabitha a brillamment répondu : “Chers rédacteurs, marié à une femme ou à un mari, dans la récente couverture médiatique d’un cadeau que mon mari et moi avons fait par l’intermédiaire de la société historique et généalogique de la Nouvelle-Angleterre, nous sommes devenus Stephen King et sa femme. L’épouse est une relation ou un statut. Ce n’est pas une identité.” Vous poursuivez en disant que “vous auriez pu faire d’autres choix. Vous auriez pu parler de moi comme de Stephen, de sa vieille dame ou de sa chaîne déchue.” Je tenais donc à vous dire que je trouve cette réponse extrêmement courageuse et que vous êtes une source d’inspiration pour d’autres femmes.

Tabitha : Un jour, je serai vraiment sa relique.

Sonya : Ma question est donc la suivante : quels sont vos conseils en matière de défense des droits pour être des défenseurs efficaces ? Qu’avez-vous trouvé qui puisse faire bouger l’aiguille ? Ou quelles mises en garde pourriez-vous partager avec nous alors que nous essayons tous de défendre la cause des bibliothèques ?

Stephen : Je pense qu’il faut être courageux. Il faut défendre ses convictions. Et c’est ainsi que j’ai été élevé. J’ai été élevé dans l’idée que tout le monde est à peu près pareil. Ma mère avait l’habitude de dire que nous sommes tous nus lorsque nous sommes déshabillés.

Tabitha : “Nus à l’intérieur de nos vêtements” je crois que c’était.

Stephen : Je pense qu’il faut avoir le courage de ses convictions. Et je pense qu’il est vraiment important de lire, d’apprendre, de ne jamais dire que j’ai fini. J’ai fait ma part. Vous devez être un citoyen de votre communauté, de votre État et du monde. Vous devez faire de votre mieux pour être aussi bon que possible. Et pour cela, il faut souvent défendre des causes que l’on ne croit pas forcément populaires. Il peut s’agir de se lever lors d’une réunion du conseil d’administration d’une école et de dire, avec tout le respect que je vous dois, que vous vous foutez de la gueule de tout le monde. Mais pas en ces termes, parce que…

Tabitha : Tu peux le dire en ces termes, c’est ok.

Stephen : Quoi qu’il en soit, vous faites de votre mieux. C’est tout. Je sais que c’est une platitude, mais c’est ainsi. Je ne sais pas quoi vous dire d’autre. Je pense que c’est en grande partie lié à la façon dont on est élevé. On est élevé pour croire certaines choses, et je m’en tiendrai à ça. Tabby ?

Tabitha : C’est ce que vous êtes en train de faire, tous.

Stephen : Oui, vous êtes là, vous faites le boulot. Qu’est-ce qu’il y a de mal à ça ? Vous êtes les meilleurs.

Quelqu’un dans l’audience : Non, vous êtes les meilleurs ! (*applaudissements*)

Stephen : On va devoir bientôt partir parce que nous avons des chiens qui vont chier partout sinon. Est-ce que vous avez des questions que vous voulez nous poser ?

Question du public : J’adore tous vos livres pour enfants, mais ma belle-mère ne pouvait pas être là ce soir, mais elle voulait vous rencontrer, Tabitha. Elle a fait la promotion de vos livres dans les librairies pendant des années. Elle est curieuse de savoir quand sortira votre prochain livre.

Tabitha : Moi aussi. (*rires*)

Question du public : Pouvez-vous nous citer quelques-uns de vos livres physiques préférés ? Que lisiez-vous à la bibliothèque quand vous étiez enfants ?

Tabitha : J’ai lu tout ce qu’il y avait là. Il y avait de la science-fiction, des cow-boys de l’espace, des livres sur les chevaux, des histoires d’espionnage, des histoires mystiques, des histoires criminelles. Il y avait des choses que je n’étais pas censée lire, que je ne prendrai pas la peine de nommer…

Public : Comme quoi ?

Stephen : As-tu lu les Mille et une nuits ?

Tabitha : Bien sûr.

Public : Nous, nous n’étions pas censés lire Stephen King. Nous n’étions pas censés le lire. Mais c’est ce que nous avions quand j’avais 10, 11 ou 12 ans. Aujourd’hui, l’édition est beaucoup plus large et c’est merveilleux mais j’aime toujours autant que les enfants tombent sur un Stephen King. Alors, merci.

Stephen : Avec plaisir.

Question du public : Je me demandais comment vous pensiez que la nouvelle technologie de l’IA allait évoluer à l’avenir.

Stephen : J’ai vu l’autre jour un type que je connais et qui travaille beaucoup sur les nouvelles technologies en Floride m’envoyer un lien vers une entreprise qui dit qu’elle a une IA qui a intériorisé 25 ou 50 livres de Stephen King. Et lorsque vous donnez une idée et un certain nombre de points de l’intrigue, cette IA écrira un roman de Stephen King, et vous pourrez y mettre votre nom si vous le souhaitez. Et je me dis, merde, pourquoi je n’ai pas connu ça il y a 40 ans ? (*rires*) Mais en fait, j’ai lu un peu de cette “prose de Stephen King”, et il a trop d’utilisation du passif, mec, trop de passif…

Question du public : Merci beaucoup d’être venus. L’une de mes citations préférées d’Hollywood, si vous voulez, c’est que la vie est à peine assez longue pour devenir bon dans une chose, alors faites attention à ce dans quoi vous devenez bon. Je suis donc curieux de savoir, s’il n’avait pas été écrivain, si Mme King n’avait pas sorti Carrie de la corbeille à papier, à quoi vous auriez pu choisir d’être bon ? Et Mme King, à quoi auriez-vous choisi que M. King soit bon ?

Tabitha : Il était déjà écrivain à l’époque de l’histoire de la poubelle, et je crois que c’était le destin. Tout le monde ne naît pas en sachant ce qu’il est censé faire, mais de temps en temps, vous rencontrez quelqu’un qui sait tout simplement. Et je pense que Steve a toujours su, dès qu’il a pu lire ses lettres et tout lire, qu’il allait faire ça. D’autres personnes, peut-être qu’elles ne le découvrent que plus tard, mais il était juste destiné à être écrivain.

Stephen : Je pourrais enseigner, mais je préfère écrire des histoires.

Question du public : Steve, vous parliez de la bibliothèque. C’était Lean, la bibliothèque pour enfants, et Carter, la bibliothèque pour adultes. J’ai remarqué que dans certains de vos ouvrages, vous décrivez brillamment ce qui se passe dans la vie d’un enfant. Je suis donc curieux de savoir si vous travaillez à partir de votre propre mémoire ou si vous avez tenu un journal extraordinaire pour vous aider à vous souvenir de l’enfance ?

Stephen : Eh bien, j’ai appris quand j’ai commencé, quand j’étais plus jeune, j’étais en contact avec l’enfance d’une manière que je ne le suis probablement plus maintenant, mais j’ai aussi enseigné à l’école, alors j’ai vu beaucoup d’enfants, et j’ai eu la chance de voir des enfants grandir. Et lorsque j’ai vendu Carrie et que j’ai pu écrire à plein temps, tu te souviens Tabby, j’ai parlé d’obtenir un certificat d’études primaires pour enseigner dans l’une des plus jeunes classes, parce que j’avais l’impression que lorsqu’ils arrivaient au lycée, ils s’étaient endurcis d’une certaine manière. C’est ce qui s’est passé. Et puis, bien sûr, il y a eu nos propres enfants, n’est-ce pas ? J’ai donc eu ma propre petite ferme d’enfants. (*rires*) J’ai eu l’occasion de voir ce qu’ils faisaient. Mais j’ai toujours été intéressé par les enfants parce que leur imagination est si vaste.

Tabitha : J’ai toujours pensé qu’il avait dû être difficile d’élever Steve, qu’il avait ou avait une mémoire phénoménale de ses jeunes années. Il se souvient de choses dont il ne devrait pas se souvenir. Mais il est vieux maintenant, alors il dérape.

Stephen : J’oublie tout, c’est vrai.

Tabitha : Parfois, je dois lui rappeler des choses comme la durée du COVID, etc.

Stephen (en riant) : Je t’aime.

Question du public : Bonjour. Bonsoir à tous. Je m’appelle Eklas Ahmed et je travaille pour la Culture Alliance of Maine. Je vous remercie tous les deux d’avoir été si humains avec nous ce soir. J’ai eu l’impression d’apprendre beaucoup de choses. Ma question porte sur les conseils, car je pense que tout le monde dans cette salle traverse une période très difficile, que ce soit dans les bibliothèques ou dans les écoles. Quels conseils donneriez-vous à tous ceux qui sont ici pour que nous puissions travailler collectivement à la réalisation de nos objectifs ?

Tabitha : Sortez et respirez profondément aussi souvent que nécessaire. Rester en contact avec le monde dans lequel nous vivons pourrait vous sauver la santé mentale. Allez vous asseoir au bord d’un lac ou nagez-y. Faites une longue promenade. C’est ce genre de soins personnels qui vous donne la force de retourner dans ce que vous avez à faire. Ai-je tort ?

Stephen : Non, tu as raison. Et ce que fait Tabby, c’est qu’elle a un beau jardin. Et tu y vas. Et souvent, quand tu sors, si tu es un peu contrariée par quelque chose, quand tu reviens, tu vas mieux. Et c’est une bonne chose. Il est important d’être présent dans sa vie autant que possible. C’est court, c’est brillant. C’est comme un éclair, et puis on s’en va. Il est donc important d’être présent et d’en faire partie. Et nous en avons fait partie ce soir, et nous vous en sommes reconnaissants. (*applaudissements*)


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