Stephen King a été interviewé par Justin Welby, archevêque de Cantorbéry, sur BBC Radio 4. L’échange de 30min a été diffusé hier et King y parle de ses anciens problèmes d’addiction, et de l’accident qui a failli lui coûter la vie en 1999.

Voici ma traduction de ce qu’on y a appris.

L’archevêque débute avec une confession : il a toujours été trop effrayé de lire les livres de Stephen King, jusqu’à ce qu’il réalise que c’est lui qui a écrit les histoires qui ont donné les films La Ligne Verte, Les Evadés… Il a alors commencé à lire La Ligne Verte, et a été fasciné par son écriture, particulèrement sa simplicité dans le bon sens, son obscurité.

“Avez-vous consciemment développé un style d’écriture, ou est-ce simplement votre façon de parler et penser ?” demande Justin Welby.

Stephen King répond : “Ce que vous lisez, c’est moi. J’essaye de garder les choses aussi simples que je le peux et quand j’écris, je suis deux personnes. Je suis l’auteur, qui fait qu’une histoire tient la route. Et j’essaye aussi d’être le lecteur, et je me demande ‘est-ce que c’est quelque chose de compréhensible, est-ce que ça va plonger le lecteur plus profond dans l’histoire ?’.” King raconte ensuite l’anecdote connue de cette femme au supermaché qui ne l’a pas cru quand il a dit qu’il était l’auteur de Shawshank Redemption. “J’essaye d’écrire des choses différentes, et j’essaye de garder la prose aussi simple que possible.”

Sur l’aspect religieux et sa critique envers certains aspects de la relition dans ses romans : “Mon problème c’est que je pense qu’il y a beaucoup d’églises organisées qui ont confondu la politique avec une partie de la religion. Où les gens se rassemblent et croient tous en la même chose, et ils oublient que Jésus a dit de rendre à César ce qui appartient à César, qu’il faut garder avec Dieu ce qui appartient à Dieu. Ce sont des choses séparées qui doivent rester séparées.”

“La religion organisée est une chose. Le vol en est une autre. La croyance en un Dieu personnel, un Dieu que chacun comprend, je suis en faveur de ça. Je ne suis pas incollable sur la Bible mais je la connais, j’ai grandi avec l’éducation d’une église méthodiste. Il y avait des affiches avec des verres de vins et des méthodistes qui disaient ‘non merci’, ce genre de choses. C’était bien, mais une fois que vous commencez à rassembler les gens, quelqu’un va devenir un outsider et il va y avoir des conflits à propos de la religion et du sang va couler. (…) On parle de cas extrêmes mais dans la plupart des cas, l’Eglise est ouverte, elle donne, prend place dans la communauté, et j’adore ça. Ce dont je me soucie c’est la spiritualité individuelle.”

“J’ai choisi de croire en Dieu quand je suis devenu sobre, il y a de très nombreuses années. C’est très simple, ils m’ont dit que l’alcool et les drogues seront plus puissants que je ne le suis. Et je n’arrivais pas à rester sobre. J’en étais arrivé au point de penser que j’en étais tout simplement incapable. Que la drogue et l’alcool seraient plus forts.” King explique que c’est un de ses parrains (aux AA) qui lui a demandé s’il priait, parce que lui oui. Il a alors décidé d’accueillir ce qu’il comprend de Dieu, et de garder les choses simples : prier le matin et demander de l’aide pour rester loin des drogues et de l’alcool, et le remercier le soir pour l’aide reçue si on a réussi à tenir une journée.

“Je ne parle pas beaucoup de mes expériences avec la drogue et l’alcool parce que je fais partie d’un programme censé maintenir l’anonymat auprès de la presse, de la radio et dans les films, mais je suis sobre depuis 33 ans et cela fait partie de ma vie. Cela m’a certainement permis de vivre une vie plus spirituelle à bien des égards. Il est plus facile de vivre une vie morale. Parce que quand tu fais quelque chose d’assez merdique, tu sais que tu l’as fait, et il faut en parler un peu. Parce que la dernière chose que je veux faire, c’est me saouler ou me défoncer. Et donc une partie de ma prière est ‘s’il te plaît, pardonne-moi pour ce que j’ai fait, parce que je ne veux plus boire ni me droguer.’ Et ça fonctionne.”

L’archevêque interroge King sur la façon dont la sobriété et ses expériences en tant que toxicomane ont influencé ses relations avec ses enfants et petits-enfants.

“Ils savent et ils savent ce qui fonctionne pour moi. Et en ce qui concerne ce qui fonctionne pour eux, ils ont leur propre vie intérieure spirituelle et ils savent ce qu’est ma vie. Mes garçons, ils sont tous les deux des écrivains à succès. Ma fille est pasteur dans l’Église Universaliste, et c’est une personne très spirituelle, et une belle, belle personne. Ils le sont tous. On m’a promis que si je devenais sobre, je ne regretterais pas le passé ni n’aurais peur de l’avenir. Et je n’ai pas vraiment peur de l’avenir. Mais il y a beaucoup de parties de mon passé que je regrette. Il y a des choses que je ferais différemment si j’avais la chance de revenir en arrière. Et l’une des choses dont je suis reconnaissant, c’est que mes petits-enfants ne m’ont jamais vu dans mes pires moments.”

A propos de ce qu’il fait des choses qu’il regrette : “Mes prières ce sont des méditations, c’est à la fois ennuyant et magnifique. J’essaye de penser à des choses que je regrette vraiment, qui m’embarassent terriblement et qui me donnent envie de disparaître. Je peux vous donner un exemple. A une époque où j’étais à un événement sportif de mes fils, j’avais une bière dans un sac en papier. Quelqu’un est venu me voir et a dit très doucement ‘si c’est une bouteille d’alcool vous allez devoir partir’. Et je suis parti. C’est important de se souvenir de ces choses et d’avancer avec chaque jour. Si je pense à l’alcool et à la drogue pendant mes méditations du matin, je n’y pense pas le reste de la journée.”

L’archevêque passe ensuite à un autre sujet : celui du Bien et du Mal. “Pourquoi beaucoup de vos livres sont d’une façon ou d’une autre à propos du Mal ? Est-ce conscient ? Est-ce parce que ça fait une bonne histoire ?”

King avec un sourire dans la voix : “Vous répondez à votre propre question. On trouve le Mal intéressant, et nécessaire de le voir et de le comprendre autant que possible pour pouvoir l’éviter.” Il se souvient du tueur en série Richard Starkweather qui a sévi quand il avait 10 ans. Il lisait tout ce qu’il pouvait trouver sur lui. Sa mère le savait et s’inquiétait que ça soit parce qu’il l’admirait. “Je lui ai dit que je ne l’admirais pas mais que si je devais rencontrer quelqu’un comme lui, je voulais pouvoir le reconnaître.”

“Le personnage dont les gens se souviennent dans mes livres, c’est Randall Flagg, le méchant du Fléau. Une figure hors du temps présentée comme une figure mythique du Mal qui a toujours été dans les parages d’une façon ou d’une autre. Je pense que c’est à ça que le Mal ressemble. La question qui me hante et qui revient dans mes livres encore et encore, c’est à quel point le Mal vient de nous. A quel point on l’a dans la peau.” Il se rappelle d’un appel de Stanley Kubrick quand il tournait Shining, alors que lui-même se rasait un matin de gueule de bois. “J’avais la lame de rasoir en main et j’ai pensé à me couper la gorge.” Il raconte que lors de cet appel Kubrick lui dit “Les histoires de fantômes sont optimistes, non ? S’il y a une vie après la mort c’est une bonne chose”. Alors que King lui parle de l’Enfer, Kubrick lui rétorque qu’il ne croit pas à l’Enfer. “On peut argumenter tant qu’on veut mais les croyances sont ce qu’elles sont.”

“Là où je voulais en venir, c’est que pour moi L’Exorciste est un film très optimiste. La petite fille est possédée par un démon, elle n’a rien fait de mal. Ça venait de l’extérieur, c’est une entité surnaturelle. Comme Dieu.”

Pour l’archevêque, le Mal est décrit dans la Bible comme ayant le pouvoir de désintégrer, les croyances, les créations, tout. “Une des belles choses des Alcoooliques Anonymes c’est que ça réintègre les gens.” King approuve : “Je pense qu’on ne peut pas résoudre le problème de Mal extérieur et Mal intérieur. Il y a des histoires sur les deux, dans la Bible, et une de mes préférées c’est quand Jésus rencontre un homme possédé. Quand il lui demande son nom, l’homme répond ‘je suis légion’. Pour moi ça a toujours été la meilleure histoire surnaturelle jamais écrite.”

“Le livre où je pense m’en être le plus approché, de la spiritualité et du problème de Dieu, c’est dans Désolation. Il y a un petit garçon qui dit ‘Dieu est amour, Dieu est amour’. Et plus tard dans l’histoire il dit ‘Dieu est cruauté ‘. Un autre personnage lui répond que Dieu est tout. Dieu est amour et Dieu est cruauté. On doit l’accepter. Mais l’accepter ne veut pas dire qu’il faut tout laisser se paser. Quand monsieur Poutine envahit l’Ukraine, tu dois faire quelque chose. Tu dois résister et soutenir les gens, réaliser qu’il va y avoir beaucoup de pauvreté, de morts, de réfugiés. Tu dois y faire quelque chose. Il faut faire partie de ce que j’appelle ‘le bon côté de l’équation’. Les Bons ne gagnent pas toujours, il faut être réaliste. Mais il faut aussi être réaliste sur le fait que non seulement la plupart des gens sont bons, mais qu’en plus la plupart des gens réussissent dans ce qu’ils essayent de faire.”

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En 1999, King a été heurté par un van alors qu’il se promenait dans son Maine natal. Il a frôlé la mort de très près, et en garde des séquelles, notamment une douleur chronique malgré une série d’opérations. Justin Welby interroge King sur ce qu’il est advenu du chauffeur du van : “Il est mort d’une overdose de drogue un an plus tard, le jour de mon anniversaire.”

L’archevêque explique qu’il y a plusieurs années, un de ses enfants a perdu la vie dans un accident de voiture (il n’y était pas, et ce n’est pas sa femme qui conduisait). “Je crois au pardon et à la rédemption. Mais en ce qui me concerne, j’ai réalisé que je suis moins bon pour pardonner que ce que ma fonction ne le demande, et certainement moins que ce que je voudrais.”

King lui répond : “Si vous gardez une puce sur votre épaule, ça va vous donner une mauvaise posture. Ça ne sert à rien de garder de la rancune. Ça ne sert à rien d’être en colère contre les gens. Ai-je pardonné à Bryan Smith de m’avoir renversé ? Non. Est-ce que je le détestais, est-ce que je voulais l’avoir, étais-je en colère contre lui ? Non. C’était juste qu’il n’y avait pas de grandes roues du destin qui tournaient, c’était juste un mauvais conducteur. Il a perdu le contrôle de son véhicule parce que deux chiens se battaient sur la banquette arrière pour une glacière contenant de la viande. Il a tourné la tête, le van est sorti de la route, et j’étais là, je n’ai pas pu l’éviter parce que j’étais où j’étais. Je me dis qu’avant que j’aille faire cette marche où il m’a percuté, j’ai fait une sieste mais je me suis réveillé plus tôt. Si je ne m’étais pas réveillé plus tôt, il m’aurait manqué. Je n’aurais pas eu 20-25 ans de douleurs chroniques, je n’aurais pas eu à apprendre à marcher de nouveau.”

“La chose positive c’est que j’en ai écrit un livre, 22/11/63. Où je réfléchis aux moments décisifs, et aux conséquences si on en changeait un. Vous me direz que c’était la Volonté de Dieu que je sois là. La réponse est que j’en avais aucune idée, et je n’en avais pas besoin. Ce n’était pas mon problème.”

Dernière question de l’archevêque : “Puisque vous avez grandi dans un contexte familial compliqué, Dieu merci vous vous en êtes sorti, avez été accro à l’alcool et à la drogue… Quand avez-vous eu la plus profonde expérience d’aimer et d’être aimé ?”

King : “Avec ma famille. Ma femme. Mes enfants. Mes petits-enfants. Même mon chien. J’essaye chaque jour d’aimer la vie. Je sais que ça sonne comme une platitude vide, les gens vont entendre ça et lever les yeux. Mais ce que je veux dire c’est que le temps file entre nos doigts. Le temps est de l’eau. Il s’en va. C’est vrai, parce qu’hier j’avais 16 ans. Et aujourd’hui j’ai 74 ans. J’essaye chaque jour de regarder autour de moi, le ciel les plantes… Pour essayer de trouver une chose pour laquelle je peux ne pas seulement être reconnaissant, mais que je peux aimer pour ce moment. C’est mon devoir.”

Justin Welby : “Il y a des bons jours et des mauvais jours. Mais c’est un immense privilège de faire quelque chose qui vous fait vous lever le matin, parfois avec de l’appréhension, mais toujours excité.”

King : “Amen !”


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2 Commentaires

  1. Salut, super, cette traduction. Je t’encourage à continuer, même si je ne suis pas un grand lecteur, j’apprécie les moments de détentes.
    En lisant cet article, cela en fut un.

    Merci.

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