Stephen King est très engagé politiquement, notamment sur son compte Twitter et particulièrement contre le président actuel des Etats-Unis d’Amérique : Donald Trump. Les élections américaines approchent et à cette occasion, il a publié une tribune sur le site du Washington Post. Voici ma traduction.

Je l’appellerai Annie. Ce n’est pas son nom, mais ça ira. En septembre 2016, elle a travaillé dans une supérette non loin de chez moi dans l’ouest du Maine. Je fais toujours le plein de mon véhicule là-bas, mais je ne la vois pas ces derniers jours. L’été, elle était toujours à l’intérieur, occupée à rassembler les achats des estivants : six paquets de bière, des bidons de Blue Rhino pour le barbecue, des chips, des billets de loterie. Après le Labor Day, cependant, les estivants rentrent chez eux, et le plus souvent à ce moment, Annie est appuyée contre le côté du bâtiment dans sa blouse rouge pomme, fumant. Je dirais qu’elle a 60 ans, ou peut-être 50 ans. Des rides profondes sur son visage, une voix rauque de fumeuse, une native du Maine, de ses cheveux blonds cuivrés teints à la maison aux semelles de ses baskets rouges.

Un jour du début de l’automne, je la rejoins à son poste de fumeur pour gratter un billet de loterie de cinq dollars avec ma pièce de monnaie porte-bonheur, et lui demande pour qui elle vote à la présidentielle. Je m’attendais à ce qu’elle dise Hillary Clinton, parce que je supposais stupidement qu’en tant que femme, Annie adorerait voir une femme présidente, mais aussi parce que les sondages, dans le Maine et dans les 49 autres Etats, indiquaient clairement que Donald Trump était en baisse, enterré sous un glissement de terrain.

“Trump”, elle répond.

J’étais sous le choc. Je crois que j’ai répondu, “Vous plaisantez”.

Elle m’a jeté un regard qui disait, Ca te surprend, n’est-ce pas.

“Mais pourquoi ?” j’ai demandé, puis j’ai utilisé un qualificatif que Joe Biden utiliserait dans un débat avec Trump presque exactement quatre ans plus tard : “C’est un clown.”

“Je l’aime bien,” me répond Annie. “Il n’est pas comme les autres. Il dit ce qu’il pense et si vous ne l’aimez pas, vous pouvez le garder pour vous.” Et cette fois, son regard dit : Cela vaut aussi pour vous, l’écrivain.

J’ai souligné que Trump n’avait aucune expérience. Annie a hoché la tête comme si c’était ce qu’elle disait. “J’aime ça. C’est un homme d’affaires. Il va faire bouger les choses, donner un coup de pied dans quelques chariots de pommes.”

Nous voilà quatre ans plus tard. L’Amérique est plus opposée à elle-même qu’à n’importe quel moment depuis la guerre civile, et Trump en est la cause. Ce n’est pas seulement un botteur de chariots de pommes; il est cette combinaison dangereuse de basse pression et d’eau chaude autour de laquelle se forment les ouragans. Les sondages disent qu’il ne gagnera pas, mais ils ont dit que cela ne se produirait pas en 2016. Un bon nombre de républicains traditionnels ont abandonné Trump et vont soit laisser tomber celui-ci, soit voter tranquillement pour Biden. Pourtant, le soutien de base de Trump a très peu diminué – et il s’est durci. Le contingent MAGA est un rocher apolitique emballé dans une boule de neige républicaine.

La liste des rébellions de Trump à l’encontre du comportement politique et présidentiel normal est longue (des livres ont été écrits à ce sujet, des plus épais), et chacun d’eux réjouit ses principaux partisans.

Parce qu’il n’est pas comme les autres. Il reste lui-même.

Et, bien sûr, il est pour l’Amérique. Il y a des photos de lui pour le prouver, une le montrant tenant une Bible et une autre où il serre un drapeau américain avec un sourire extatique (et, à mes yeux, au moins, faux) sur son visage.

Trump a réussi à établir un lien direct avec l’identité américaine. Il a cristallisé des théories du complot autrefois vaporeuses telles que QAnon et le supposé Deep State. Il a laissé penser que les préjugés de notre pensée logique – notre meilleure nature, si vous voulez – sont dommageables et addictifs. Nous comprenons ce que les scientifiques disent au sujet de la protection contre la covid-19 et de l’aplatissement de la courbe, mais ces choses sont difficiles et prosaïques. Les rumeurs en ligne (les vaccins causent des lésions cérébrales, le réchauffement climatique est un canular, les démocrates molestent les enfants puis les mangent) sont beaucoup plus attrayantes. L’identification source de haine, mais aussi de peur. Trump, un faiseur de pluie qui s’attribue le mérite de la pluie alors même que la sécheresse continue, a fondé ses deux campagnes présidentielles sur une série de mythes sombres. Il n’est réellement pas comme les autres.

Alors que les Américains se préparent à se rendre aux urnes, ils font face à un carrefour pas comme les autres dans l’histoire du pays. Une route mène à Trump et à une validation de l’identité et de toutes les sombres croyances qu’elle recèle. L’autre route mène à Biden. Un vote pour Biden n’est pas un vote pour le surmoi – Biden n’est pas irréprochable – mais c’est au moins un vote pour l’ego : la partie de nous qui est rationnelle et prête à assumer la responsabilité (même à contrecœur) des actions individuelles et des maux de la société.

Cela m’a pris quatre ans, mais je comprends ce que disait Annie en 2016, et tous ces partisans hurlants, sans masques et coiffés de casquettes rouges lors des rassemblements de Trump. Je comprends le désir de mettre un coup de pied au chariot de pommes et de m’en aller. Mais je comprends aussi la nécessité d’avancer de manière rationnelle, quoique parfois laborieuse et douloureuse. Trump a donné un coup de pied au chariot. Des millions d’électeurs américains l’ont aidé. Biden promet de redresser la situation… mais nous devrons tous ramasser les pommes.


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