John Williams, du Washington Post, a visité cet été la bibliothèque personnelle de Stephen King, dans sa maison de Bangor (Maine), qui est aujourd’hui le siège de la Stephen & Tabitha King Foundation. Il en est revenu avec des photos et des anecdotes, que je vous partage ci-dessous.
Consultez l’article original en anglais sur le site du Washington Post
Photos par Tristan Spinski
“La maison existe depuis 1845 et nous sommes là depuis 1976”, explique King. “Mais nous ne vivons plus vraiment ici, et c’est une sorte de capsule temporelle. Ce qu’il faut savoir à propos de cette pièce, c’est que c’est ici que les enfants et leurs amis se retrouvaient lorsqu’ils étaient adolescents. Ils jouaient aux jeux vidéo ici”.
John Williams décrit cette bibliothèque comme une longue pièce bordée de chaque côté de livres très bien rangés : les ouvrages de fiction le long d’un mur, classés par ordre alphabétique d’auteurice, et les ouvrages documentaires de l’autre côté, regroupés par sujet. “Plusieurs personnes se tenaient à proximité pendant que King, 76 ans, parcourait la bibliothèque avec moi – des membres de son équipe d’édition, des amis locaux, des administrateurs de la fondation. Les relations qu’il entretenait avec toutes les personnes présentes étaient de longue date, et les personnes rassemblées ressemblaient bien moins à une suite qu’à une famille chaleureuse réunie.”
Fiction de l’étrange
Plusieurs étagères sont occupées par des séries de livres à thème, dont beaucoup ont été offerts à King par Tabitha, dont la propre collection se trouve également dans cette maison de Bangor. La. Journaliste rapporte d’ailleurs que plus d’une fois au cours de leur conversation, King s’est arrêté pour dire : “J’aimerais que Tabby soit là”. L’un de ces cadeaux était une collection publiée par Arkham House, un éditeur de “fiction de l’étrange” basé dans le Wisconsin et fondé en 1939, dont les livres ont beaucoup compté pour King lorsqu’il était un jeune lecteur. “J’ai grandi avec ces gens. Ils ont tous été publiés dans les pulps à l’époque. Beaucoup d’entre eux étaient publiés à un centime le mot ou quelque chose comme ça, alors ils les ont détruits, et il y a un large éventail. Les originaux étaient tirés à mille exemplaires ou quelque chose comme ça, ce n’était pas grand-chose. Ce sont donc des réimpressions.”
“‘A Thousand Years a Minute’, de Carl H. Claudy,” dit King, entonnant le titre du livre avec l’émerveillement d’un enfant. “1933. Il s’agit de retourner dans le passé et de combattre des dinosaures et ce genre de choses. Le “Jurassic Park” de son époque”.
“Pleasant Dreams”, un recueil de nouvelles de l’écrivain d’horreur et de fantastique Robert Bloch (1917-1994), a rappelé à King une longue conversation qu’il avait eue avec lui lors d’une convention. “C’était probablement vers 1982. J’avais déjà écrit “Carrie”, “Salem” et quelques autres, mais pas grand-chose”, raconte-t-il. Bloch lui a dit : “Tu as un grand avenir devant toi ; ne te laisse pas dévorer par les éditeurs”.
Richard Matheson, auteur de “Je suis une Légende” et de bien d’autres ouvrages, a donné à King un conseil encore plus précis, après que ce dernier lui a envoyé une copie de “Salem”. “Il avait l’habitude de taper sur ces petits papiers, et il m’a envoyé une lettre sur l’un d’entre eux. Il m’a remercié pour le livre, puis, au bas de la lettre, il a dit : “Je vais vous dire la chose la plus importante que je connaisse sur l’écriture”. Je me suis dit : “Oh mon Dieu, je vais vraiment comprendre quelque chose”. Je l’ai retourné et il avait écrit : “Achetez un pupitre”. Ainsi, vous n’avez pas à tourner la tête vers la page, car c’était à l’époque où l’on tapait à la machine”. A-t-il suivi le conseil et s’en est-il procuré un ? “Non, je ne l’ai jamais fait. Et je n’ai jamais eu de problèmes de cou non plus.”
Burroughs, tiens le Tarzan
Les livres d’Edgar Rice Burroughs occupent plusieurs mètres d’étagère, également offerts par Tabatha.
“”Pirates de Vénus” et ceux sur Pellucidar – “Au cœur de la Terre” et d’autres livres de ce genre. J’adorais ça. Je n’ai jamais vraiment aimé les livres de Tarzan, tous ces trucs de la jungle. Je n’ai jamais cru au fait de se balancer sur des lianes et de parler aux singes, etc.”
La “crypte” et Cormac
King a sorti une série de “Contes de la crypte” de l’étagère, a récité solennellement son titre et a laissé échapper un ricanement diabolique et caricatural. “Ces livres m’ont fait tourner la tête quand j’étais enfant. J’avais 10 ou 11 ans. Ma tante était inquiète, ma mère ne l’était pas. Ils coûtaient environ cinq cents pièce. Ils n’avaient pas de couverture. À l’époque, on enlevait les couvertures et on les renvoyait pour obtenir un crédit. Ils étaient censés les réduire en pulpe, mais ils faisaient en quelque sorte coup double”.
Il note que, comme beaucoup de livres de sa bibliothèque, les exemplaires de la “Crypte” sont des réimpressions. “Je ne suis pas un collectionneur. J’ai quelques livres dédicacés, mais ils ne sont pas rangés dans un endroit spécial. Ce ne sont pas des biens précieux ou quoi que ce soit de ce genre. J’ai un “Look Homeward, Angel” signé par Thomas Wolfe et un “They Shoot Horses, Don’t They” signé par Horace McCoy. J’aime ces livres et c’est agréable d’avoir un livre dédicacé, mais…”.
Alors qu’ils passent devant une édition signée du deuxième roman de Cormac McCarthy, “Outer Dark”, publié en 1968, King déclare adorer Cormac McCarthy. “J’ai tout lu. J’ai lu ‘The Passenger’ et je me suis dit que ce type avait 87 ou 88 ans et qu’il n’avait jamais été aussi bon. Il m’a époustouflé. Je ne comprenais pas tout. Cela m’a tellement impressionné que j’ai écrit une histoire intitulée “Les rêveurs”, qui sera publiée dans un nouveau livre. Elle lui est dédiée parce que je lui ai volé son style pour cette histoire ; c’est lui qui a rendu l’histoire possible.”
Après les Hardy Boys
“J’ai commencé à lire Ed McBain quand j’avais probablement 11 ou 12 ans”, raconte King, en regardant sa rangée de plusieurs romans de l’auteur prolifique de polars. “Le bibliobus passait. Nous vivions à la campagne. La première chose dont je me souviens, c’est que je suis en train de lire l’un de ces livres et que [les inspecteurs] Carella et Kling vont interroger une femme à propos d’un crime. Elle est assise dans son slip, elle est ivre, elle lui attrape la poitrine et la presse en disant : “Dans l’œil, le flic”. Et je me suis dit : “Ce n’est pas les Hardy Boys.” Ça m’a marqué. Ça m’a semblé plus réel”.
L’arbre généalogique
Deux séries complètes d’étagères verticales sont remplies des livres de King et de ceux de sa famille. Tabitha et les deux fils du couple, Owen et Joseph (qui écrit sous le nom de Joe Hill), ont chacun publié plusieurs romans. La fille de King, Naomi, est pasteure. Lorsque le journaliste lui a demandé de passer en revue ces étagères, l’auteur a immédiatement commencé à pointer du doigt les œuvres des membres de sa famille. “Les livres de Joe sont ici, ceux de Tab sont là. Où sont les livres d’Owen ? Voici son livre “The Curator”. Save Yourself”, c’est le livre de Kelly. Kelly [Braffet] est la femme d’Owen ; elle est formidable”.
Malgré le grand nombre de ses propres livres sur les étagères, King n’en a pas parlé.
Il a expliqué que les livres de la famille avaient été classés et mis en rayon par quelqu’un qui travaille pour lui, quelqu’un qui “s’intéresse en quelque sorte à mon…”. “Héritage ?” à proposé le journaliste. “L’héritage, peut-être ça”, a-t-il répondu.
Quelques minutes plus tard, le journaliste lui a demandé s’il pensait lui-même à son héritage : “Je n’y pense pas beaucoup”, a-t-il répondu. “Je ne comprends pas pourquoi il y en aurait un. Lorsque vous êtes un romancier populaire – je veux dire, ne vous méprenez pas, je fais le meilleur travail possible et j’essaie toujours de trouver quelque chose à dire. Si vous ne dites pas quelque chose qui vous tient à cœur, pourquoi vous en préoccuper ?”
“Il y a très peu de romanciers populaires qui ont une vie après la mort. Agatha Christie, par exemple. Je ne vois personne d’autre qui soit vraiment un romancier populaire. Des gens comme John D. MacDonald, qui était un romancier terriblement populaire à son époque, mais quand il est mort, ses livres ont disparu des rayons. En fin de compte, ils étaient jetables. Je pense que certains romans d’horreur pourraient durer. Ils seront peut-être lus dans 50 ou 100 ans, comme “Shining”, “Salem” et “Ça”. Si vous demandez aux gens : “Quel vampire connaissez-vous ?”, ils vous répondront : “Dracula”. Mais qui a inventé Dracula ? Je n’en sais rien. Ainsi, dans 50 ou 100 ans, les gens diront : “Oh, Grippe-Sou, le clown. Oui, bien sûr. Qui est Stephen King ? Ils ne le sauront pas.”
Epopées et couvertures rigides
En montrant les étagères de livres de fiction, King a déclaré : “C’est tout ce que j’ai lu ou ce que Tabby a lu. Ce sont tous des livres lus et aimés. Nous ne pouvons pas jeter un livre, aucun de nous ne le peut“.
Bien qu’il se décrive comme un lecteur peu rapide, il s’est arrêté pour recommander des livres qui ont pris beaucoup de temps, notamment l’épopée de John Galsworthy “La saga des Forsyte” (“Je l’ai écoutée et l’ai lue sur mon iPad parce que les caractères sont trop petits pour moi maintenant”) et les 12 volumes de “A Dance to the Music of Time” d’Anthony Powell.
Le journaliste a fait remarquer que tous les livres sur les étagères de fiction – ou presque – étaient des livres à couverture rigide. King a alors expliqué que c’était pour compenser le fait qu’il n’en avait pas eu dans son enfance. “Lorsque j’étais enfant et pauvre, l’idée d’acheter une couverture rigide au prix astronomique de 6 dollars, alors qu’un livre de poche ne coûtait que 35 cents, ne m’a pas effleuré l’esprit. Non.” La première couverture rigide qu’il a achetée, lorsqu’il était à l’université, était “Death of a President” de William Manchester, sur l’assassinat de Kennedy, qu’il a offert à sa mère pour son anniversaire.
Vers la fin de la visite, Stephen King a sorti avec enthousiasme une dernière pièce des étagères : “C’est un livre intéressant : Dan Simmons, ‘Carrion Comfort’. Il est long, très long. C’est l’un des rares livres que tous les membres de ma famille ont lu. Il me l’a dédicacé, après que j’ai été renversé par une camionnette. C’est un livre sur les gens qui ont des accidents stupides”. Sur cette note, King se tourne vers la salle et demande à haute voix : “On s’amuse bien non ?”
À la fin, toutes les personnes présentes se sont retrouvées autour d’un exemplaire de “Knowing Darkness : Artists Inspired by Stephen King”. C’est un livre surdimensionné et en édition limitée, posé sur une table à l’une des extrémités de la pièce. “Je ne vais même pas essayer de le soulever”, a déclaré King. Ses pages comportaient au moins une touche ludique : une illustration du visage de King sur une couverture de roman classiquement ringarde pour le roman “Misery’s Return”, une œuvre imaginée qui joue un rôle dans “Misery” de King.
Mais “Knowing Darkness” est aussi truffé d’images plus sombres qui ont orné l’œuvre de King. Après l’avoir regardé pendant un certain temps, King a déclaré avec une innocence moqueuse : “Je dois avoir une sorte d’esprit tordu”. Les rires fusent de toutes parts.
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