Le 19 juin 1999, Stephen King a été heurté par une camionnette lors de sa promenade quotidienne et a frôlé la mort. Déjà auteur à succès à cette époque, cet accident traumatisant a laissé des séquelles : physiques, mais aussi psychologiques et créatives. Du lien étroit entre fiction et réalité quand il intègre son accident dans ses récits, à la nécessité d’écrire à la main pendant sa convalescence, voici comment cet événement a changé la façon dont King écrit ses histoires.

Il a écrit “Dreamcatcher” à la main parce qu’il ne pouvait pas rester à son bureau plus d’une heure sans souffrir.

Après l’accident, il a fallu 5 semaines pour que Stephen King se remette à écrire. Quand il l’a fait, les conditions étaient loin d’être optimales. Dans un essai écrit pour le New Yorker, il a détaillé l’immense douleur qu’il ressentait après ses nombreuses interventions chirurgicales :

« Je ne voulais pas me remettre au travail. J’avais très mal, incapable de plier le genou droit. Je ne pouvais pas m’imaginer rester longtemps assis derrière un bureau, même en fauteuil roulant. À cause de ma hanche fracassée de façon cataclysmique, s’asseoir était une torture après une quarantaine de minutes, impossible après une heure et quart. Comment étais-je censé écrire quand la chose la plus pressante dans mon monde était de savoir combien de temps il me restait avant la prochaine dose de Percocet ? »

C’est Tabitha qui l’aidera à reprendre l’écriture en installant un petit bureau près du garde-manger du couple. Même avec cet aménagement, King ne pouvait pas rester au bureau plus de deux heures avant que la douleur ne devienne trop forte. Il écrira alors la totalité de la première version de Dreamcatcher à la main, entre novembre 1999 et mai 2000.

Écrit dans un contexte dans lequel King était empreint à la douleur, l’inconfort et la peur de l’addiction aux anti-douleurs, le roman Dreamcatcher dénote du reste de son œuvre : il est le reflet de sa souffrance.

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Les premiers livres qu’il a écrits après l’accident étaient plus autobiographiques.

Le fait de frôler la mort mène toute personne à faire le point sur sa vie. Le premier livre que King a terminé après son accident est son essai Écriture, mémoires d’un métier, qui a fini par servir d’autobiographie partielle de sa vie, et une section entière du livre est consacrée au 19 juin 1999.

Il a également examiné différents éléments de l’accident et la façon dont il a affecté sa volonté d’écrire, décidant notamment d’enfin terminer son cycle de La Tour Sombre (je vous en parle après).

Des éléments de ses histoires, comme les “belettes de merde” dans Dreamcatcher, font également allusion à la combinaison des terribles douleurs postopératoires et de la quantité d’antidouleurs qu’il prenait.

Puisque King se base sur son quotidien pour inspirer la plupart de ses récits, encore aujourd’hui, on retrouve des traces de ces événements dans ses récits : comment ne pas voir une grosse part autobiographique au sort que subit le vieux Bowditch dans Fairy Tale ?

Aussi, chaque lecteur.ice assidu.e se rendra compte que dans l’Œuvre de King, il y a un avant et un après 1999 : son écriture a changé. Surtout, la façon dont il traite les thématiques importantes de ses histoires est transformée. On est moins dans la métaphore ou dans la subtilité, les dénonciations sont plus frontales.

Il a écrit “Écriture, mémoires d’un métier” en partie pour faire face à l’accident.

En 2000, King publie son premier livre post-accident : Écriture, mémoires d’un métier. Il a déclaré à Katie Couric lors d’une interview sur NBC qu’il avait eu plus de mal à écrire après l’accident qu’il ne l’avait prévu : « Après l’accident, j’étais totalement incapable d’écrire. Au début, c’était comme si je n’avais jamais fait ça de ma vie. C’était comme si je recommençais à zéro. »

Le livre est passé de simples conseils sur l’écriture à un pseudo-mémoire. La dernière partie du livre s’intitule “Vivre”, et King y décrit en détail l’accident et commence même à l’accepter. À l’approche du lancement du livre, l’auteur avait publié un article sur son site officiel dans lequel il explique que le fait d’avoir terminé le livre lui a redonné le moral quant au retour à la normale de sa carrière : « Mon endurance est bien moindre qu’avant et ma production a été réduite de moitié, mais je travaille.»

Il décide de terminer “La Tour Sombre” et écrit les trois derniers volumes en un temps record.

Après avoir appris que King allait se remettre de ses blessures, la plupart des fans n’ont pu s’empêcher de moins se soucier du bien-être de leur auteur préféré, pour s’intéresser à l’état de certains de ses livres. Les fans sont exigeants, et à cette époque il recevait déjà beaucoup de courrier lui demandant de boucler le cycle. À la fin des années 90, comme je l’explique dans mon guide de lecture de La Tour Sombre, la question qui préoccupe le plus les fidèles lecteurs est de savoir si King sera en mesure de terminer son magnum opus, le cycle de La Tour Sombre. Au moment de l’accident, seuls quatre livres de la saga ont été publiés et le quatrième, Magie et Cristal, sorti deux ans auparavant, se termine sur un cliffhanger.

Si les premiers temps, il pense ne jamais terminer l’histoire de la quête de Roland, en 2001 il reprend du poil de la bête et décide d’en finir avec cette histoire : « J’ai remis tout le reste à plus tard et je me suis attaqué aux trois derniers volumes. » Il publiera ces 2000 pages en 2003 (Les Loups de la Calla) et 2004 (Le Chant de SusannahLa Tour Sombre).

Avant ça, il a également décidé qu’il était temps de revenir à la case départ et de faire une révision de l’ensemble, car les tomes n’ont jamais été conçus comme des histoires distinctes mais comme des chapitres d’un seul volume, et « le début n’était plus synchronisé avec la fin ». Depuis 2003, les éditions des 4 premiers tomes de La Tour Sombre sont donc des éditions révisées : il y a harmonisé le ton, corrigé les erreurs. Maintenant qu’il avait en tête la fin de cette épopée, il a aussi voulu « tout mettre en ordre » en supprimant « du blabla », modifiant ou ajoutant des éléments « sans vendre la mèche ou révéler des secrets contenus dans les trois derniers volumes ».

Un travail colossal.

Il a mis en scène son propre accident dans un de ses livres.

Attention, si vous n’avez pas deviné de quelle œuvre il s’agit, je risque de vous spoiler un événement majeur de l’histoire en question : la présence de Stephen King dans une de ses œuvres, mais aussi l’importance qu’a son accident dans la trame de l’histoire. Je mets l’explication dans un bandeau spoiler : dévoilez-le et lisez-le à vos risques et périls !

Attention, spoiler !
A la suite de son accident, King n’a pas seulement passé la vitesse supérieure sur l’écriture de La Tour Sombre, mais il a également fait un pas de géant en s’incluant, lui-même et son accident du 19 juin 1999, directement dans l’histoire. La date de l’accident est une date clé pour que le pistolero puisse réussir sa quête : il doit sauver l’écrivain, celui qui les a créés, lui et son kâ-tet, même si cela nécessite des sacrifices. Car oui, dans son univers fictif, Stephen King est censé mourir, ce jour-là. Et le récit de sa mort est probablement le dédoublement de King le plus impressionnant, puisqu’il met en scène son événement le plus traumatique, en lui donnant une issue moins favorable. Comme encore possédé par la haine et la douleur, Stephen King fera mourir un des précieux membres du kâ-tet pour permettre à sa version fictive de survivre, et à Roland d’accomplir sa quête.

L’accident a conduit à son obsession pour le nombre 19.

King a été renversé par une camionnette le 19 juin 1999, et cette date est restée gravée dans sa mémoire. Dans presque tous les livres qu’il a publiés depuis l’accident, l’auteur a fait des références plus ou moins subtiles au nombre 19. Vous pouvez en retrouver une grande partie dans mon dossier sur le multivers de Stephen King, en recherchant “19” sur la page (faîtes CTRL+F).

Il serait difficile pour quiconque d’oublier le jour où il a été renversé par une voiture, et King s’est appuyé sur ce fait en faisant de cette date un chiffre mystique dans son univers. Il peut apparaître comme un simple numéro d’appartement ou une adresse de maison, mais d’autres fois, il n’apparaît que lorsque les fidèles lecteurs aux yeux aiguisés comptent les lettres des noms de certains personnages importants ou additionnent des nombres plus longs.

C’est son cycle La Tour Sombre qui pousse le plus loin son obsession pour le nombre 19.

Attention, spoiler !
Outre plusieurs révélations sur l’importance du chiffre 19 pour sauver la Tour Sombre elle-même, les protagonistes de la série – Roland, Jake, Eddie, Susannah et Oy – finissent par considérer qu’ils sont le Ka-Tet de Dix-Neuf et de Quatre-vingt-Dix-Neuf.

Il a adapté une partie de l’accident dans un épisode de sa série “Kingdom Hospital”.

En 2004, King a développé une minisérie télévisée du nom de Kingdom Hospital, basée sur le film The Kingdom de Lars von Trier. Dans l’un des 13 épisodes, l’accident de King a servi d’inspiration partielle. L’un des personnages principaux est renversé par une voiture alors que le conducteur était distrait par un chien, exactement comme Bryan Smith qui a renversé King en 1999.

Mais, les liens entre la série et l’accident de voiture ne s’arrêtent pas là. L’hôpital est situé à Lewiston, ville du Maine dans laquelle King a été transporté par avion pour ses propres blessures après avoir été renversé.

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