Stephen King s’est exprimé récemment sur divers sujets dans deux vidéos différentes. Voici ma traduction.
La première est une interview du site Deadline dans laquelle lui sont posées des questions sur le cinéma.
Q : Quelle série ou film vous a donné envie de raconter des histoires à l’écran ?
R : Bill Thompson, mon premier éditeur, avait pour habitude de dire que j’avais un projecteur dans ma tête. Je fais partie de la première génération qui a grandi sans télévision à la maison mais pour qui les films c’était important. Ma mère nous emmenait au cinéma puis j’y suis allé seul, on vivait dans les bois mais les films qui m’ont fait l’effet d’une étincelle étaient les films d’horreur. En noir et blanc. J’allais au cinéma Ritz dans le Maine.
Il y avait deux cinéma à Winston, l’Empire avait les gros films comme Les dix commandements et ce genre de films, avec un grand écran pour les Disney, alors que le Ritz avait d’autres films qui n’étaient diffusés que pendant 3 jours. J’y ai vu des films comme The Haunting of Hill House, j’avais 15 ans. Il m’a foutu la trouille. Peu de temps après il y avait une double séance avec X: The Man with the X-ray Eyes et j’ai en fait vu ce film alors que les dernières secondes étaient coupées, considérées comme trop effrayantes pour le grand public.
A la fin de ce film, Ray Milland ferme les yeux puis regarde la caméra avec des yeux qui saignent et qui disent “Je peux toujours voir”. Ça m’a terrifié. L’autre film en double séance, je ne l’ai jamais oublié, je savais qu’on allait en parler mais je ne l’ai pas revu parce que j’avais peur d’être terriblement déçu.
C’était ce film appelé Dementia 13, le premier film réalisé par Francis Ford Coppola. Son histoire est qu’il travaillait comme ingénieur du son avec Roger Corman, qui faisait un autre film en Irlande pour des question d’impôts, et il lui restait 22 000 dollars. Il lui a suggéré d’aller y réaliser un film “du genre de Psychose, quelque chose avec des meurtres à la hache”. Coppola a écrit un scénario en deux ou trois jours, et il a fait le film avec les acteurs de Corman qui étaient disponibles dans le coin. Il a tourné en 4 jours. Corman, et c’est raconté par les meilleurs, et il l’a entendu de (William) Castle, qui avait plein de petits films avec des séances de tests. Un des trucs géniaux c’est ce film, The Tingler. A un moment donné dans le cinéma, le film s’est arrêté et un mec est venu pour dire que “Le désosseur (the tingler, en vo) de cadavres s’est échappé du film ! Criez ! Criez pour vos vies !” parce que vous deviez crier sinon le désosseur vous attrapait. Quelqu’un du management du théâtre mettait quelque chose qui vibrait sous un fauteuil, et c’était le désosseur. Castle avait beaucoup d’effets de ce genre pour les films macabres, et Corman les a volés.
Le truc c’est que “Dementia 13” fait genre 70 minutes. Corman voulait qu’il soit plus long. Il était aussi mécontent parce que Coppola l’avait trahi et avait récupéré 20 000 dollars supplémentaires pour faire le film. Je ne l’ai jamais oublié parce qu’il m’a vraiment fichu la trouille. Ce n’était pas un film signé Hollywood. Ce qui s’en rapprocherait le plus aujourd’hui ce serait Le Projet Blair Witch.
C’était un petit film en noir et blanc, et même à 15 ou 16 ans vous le regardiez et vous disiez “c’est quelqu’un d’immensément talentueux, qui comprend vraiment le pouvoir de l’image”. Ce que je n’ai jamais oublié c’est la scène d’ouverture où un couple se dispute sur un lac. C’est en noir et blanc, on ne voit pas réellement le lac c’est complètement noir. La barque semble presque flotter dans l’espace et le ciel au-dessus est noir aussi.
L’homme écoute une radio portable et il y a une chanson de rock horrible qui passe, la femme insiste pour qu’il l’éteigne. Il y a beaucoup d’éléments d’intrigue, c’était un plutôt bon scénario mais l’homme a une crise cardiaque et meurt et elle le balance par-dessus bord dans le lac, et elle jette la radio avec. C’est ce que je n’ai jamais oublié : il filme à travers l’eau et on voit la radio couler dans l’eau, on entend la radio mais c’est plein de bulles, on entend à peine car l’eau commence à l’envahir et couper la transmission. On le voit lui aussi, mais ce que je n’ai jamais oublié c’est la radio. Je me suis dit que c’était génial.
Dans certains films vous voyez quelque chose et ça vous ouvre les yeux, et vous vous dîtes “je n’ai jamais rien vu de tel auparavant”. C’était fantastique.
Q : Au début de votre carrière, quel film ou série avez-vous vu qui était si bon, qu’il vous a fait vous demander si vous pourriez arriver à ce niveau un jour ?
R : Probablement un fil comme Duel. Vous le voyiez et vous vous disiez “je ne suis pas encore capable de faire ça”. C’était le film de Spielberg dans lequel Dennis Weaver est pourchassé par un conducteur de camion psychotique. Vous ne voyez jamais le chauffeur. Il y a un peu de ce sentiment dans un roman que j’ai écrit, Cujo. En écrivant le livre je me suis dit “c’est bien mais tu vas le rendre encore mieux, tu vas en faire quelque chose comme Duel où on n’a pas nécessairement besoin d’avoir beaucoup de backstory ou de motivation, tu veux en faire comme une brique qui frappe les gens en pleine tête” et ce film était comme ça. C’était un film fantastique. Epuré jusqu’à l’os.
[En 2009 Stephen King a publié la nouvelle Plein Gaz, hommage à Duel, co-écrite avec son fils Joe Hill]
Q : Que ça soit votre propre histoire, ou l’approbation de la part d’une personne importante pour vous, qu’est-ce qui vous a donné pour la première fois confiance dans le fait d’être important ?
R : Je ne sais pas faire de film. Et ça m’a ôté beaucoup de pression. Ernest Hemingway a dit un jour “La meilleure chose qu’au écrivain peut espérer est que le studio paye beaucoup d’argent pour quelques chose qu’il a écrit et que le film ne se fasse jamais”. Je n’ai jamais ressenti ça parce qu’il y a des réalisateurs intéressants. Quand Paul Monash a optionné les droits pour Carrie il a dit qu’il connaissait un réalisateur qui avait fait quelques petits films nommé Brian de Palma. Je connaissais son travail grâce à Sisters, et je me suis dit que c’était le mec parfait pour le film. J’ai un passé avec le cinéma j’adore les films, j’en regarde beaucoup, à ce jour je ne pense pas qu’ils fassent le même effet à que quiconque que quand ils étaient jeunes.
On n’obtient jamais la même peur que celle dans Psycho, quand à travers le rideau de douche on voit le couteau se planter. On n’a jamais à nouveau cette même peur. Mais on voit beaucoup de réalisateurs qui nous font nous dire que c’est intéressant, et parfois certains débarquent et ne font pas partie de ceux dont on a entendu parler, Comme Frank Darabont. Et on se dit : “Je veux voir ce que ça va donner.” C’est de la pure curiosité.
Mais en ce qui concerne faire des films moi-même… J’en ai écrit et ça a été instructif. Vous gagnez de l’argent tout en apprenant. Petit à petit j’ai appris, mais c’est un travail différent. J’ai toujours vu les scénarios comme étant des écrits par des personnes pas vraiment talentueuses, et quand j’ai pu changer mon avis sur le sujet, j’ai pu m’améliorer.
Q : Quel a été le plus grand obstacle que vous avez pu dépasser et qui vous avez permis de transformer les projets qui vous ont influencé en votre propre vision ?
R : C’est surtout une question d’avoir assez de revenus. Pour le dire autrement, c’est que ma famille ne meurt plus de faim, que les enfants puissent aller à l’université, que les petits-enfants aussi. C’est avoir une sécurité financière suffisante pour pouvoir oser.
Mon agent est Rand Holston. Rand et moi comprenons que nous allons donner des options à des personnes intéressantes et qui ont fait des choses intéressantes. N’importe qui, d’Edgar Wright qui possède les droits de Running Man, à d’autres qui travaillent pour Blumhouse. Zak Hilditch est une de ces personnes, un réalisateur intéressant.
C’est merveilleux de pouvoir dire “Je veux voir ce que ces gens font de mon travail”. Comme Mike Flanagan quand il voulait faire Jessie.
Le truc c’est que si tu as le pouvoir de valider le scénario, les acteurs, le réalisateur, s’ils te donnent une liste de réalisateurs… C’est merveilleux. C’est presque comme conduire une Cadillac. C’est une situation merveilleuse.
C’est agréable de pouvoir connaître le travail de certains d’entre eux mais c’est aussi une bonne chose de pouvoir donner sa chance à quelqu’un, qui n’aurait peut-être pas eu l’opportunité autrement.
Je connaissais le travail de Frank (Darabont, ndlr) parce qu’il m’avait envoyé son film d’étudiant. Il avait fait un film de fin d’études basé sur ma nouvelle Chambre 312 . Il me l’avait envoyé sur cassette. Je l’ai regardé et me suis dit qu’il savait exactement ce qu’il faisait. Puis il m’a envoyé le scénario qu’on lui avait commandé pour Les Evadés qui s’appelait alors intitulé Rita Hayworth et la Rédemption de Shawshank, le titre complet à casser des mâchoires.
J’ai lu le scénario et me suis dit qu’il était fantastique mais que le film ne se ferait jamais. Et j’en ai ri, parce que je ne pouvais pas imaginer que quelqu’un veuille le produire, mais Frank l’a fait et le scénario était génial. Ce n’étaient que des dialogues. Ce que je n’ai pas vu, pas compris, mais que Frank avait compris, c’était qu’il s’agissait de gens normaux. Vous savez, j’ai quelqu’un qui travaille pour moi et il m’a dit que chaque fois que le film passe il faut qu’il le regarde parce que les gens s’identifient. Je n’avais jamais vu ça, je ne l’avais jamais compris et je ne crois pas que Castle Rock (Entertainment, société de production) l’ai compris non plus. Mais Frank s’est accroché à son idée car il ne voulait pas n’être que scénariste mais voulait le réaliser. Je le soutenais complètement, et c’est comme ça que ça c’est passé.
Q : Comment l’explosion du streaming a-t-elle changé la façon dont vous travaillez ?
R : Ca a donné à n’importe quelle personne qui écrit des romans le privilège de travailler à un même niveau de longueur. Il faut faire attention avec ça, il y a une expression qui dit “si vous donnez à quelqu’un assez de corde il pourrait se pendre avec”. Et on a tous vus des projets en streaming être beaucoup trop longs, ou des mini-séries trop développées avec trop d’explications du passé, où il ne se passe rien ça parle et ça se promène. Ca peut être un problème mais en même temps, parfois vous avez quelque chose comme The Outsider, que Richard Price a écrit. C’est court, les gens n’en ont pas assez, ça devient un rdv à la télévision comme Game of Thrones. Pour n’importe qui qui travaille sur des films ça a été une révolution parce que tout à coup, ça devient un marché de vendeurs, au lieu d’un marché d’acheteurs, et j’aime ça de mon point de vue.
Il y a eu beaucoup de choses que j’ai pu faire et qui n’auraient jamais vu le jour sans ça. Et je ne suis pas sûre que n’importe quelle chaîne, à l’époque, quand je faisais des mini-séries pour ABC comme Le Fléau, La Tempête du Siècle, Rose Red… je ne suis pas sûr qu’ils auraient fait Lisey’s Story. Ca aurait été plus compliqué. Mais Apple avait hâte et Dieu les bénisse pour ça.
Et pour termine une petite vidéo dans laquelle une journaliste de la chaîne 10Boston est tombée par hasard sur King dans la rue, qui se rendait très certainement à un match des Boston Red Sox.
Elle lui demande ce qu’il pense sur le fait que Facebook envisage de changer de nom. Il répond : “Je ne peux pas suggérer de nouveau nom ou deviner ce qu’il sera parce que c’est une chaîne familiale… Laissez-moi juste vous dire que j’ai quitté Facebook il y a quelques année et je ne l’ai jamais regretté.”
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merci pour cette belle traduction, c’est toujours un plaisir de découvrir ce type d’interviews car S. King y relate souvent des anecdotes susceptibles d’intéresser des gens désireux de s’instruire sur la culture cinématographique ou littéraire…