Le 22 mai dernier, Stephen King s’est vu décerner le “Literary Service Award”, un prix qui salue ses services rendus à la littérature, par l’organisation internationale PEN, qui défend dans le monde les auteurs et leur liberté d’expression.
LA CÉRÉMONIE
La cérémonie s’est déroulée au American Museum of Natural History de New York en présence notamment de l’acteur Morgan Freeman (Les Évadés, Dreamcatcher), qui lui a remis son prix :
Dans un tweet, Stephen King s’était dit très anxieux de rencontrer Cameron Kasky et Samantha Fuentes, survivants du shooting de l’école de Parkland, de même que l’étudiant activiste Zion Kelly, qui y étaient également honorés.
LES DISCOURS DE MORGAN FREEMAN ET STEPHEN KING
Morgan Freeman
“Mon ami Stephen King est un intrépide champion du monde de l’écrit. Le corpus littéraire de Stephen -plus de 60 romans- a captivé, terrifié et inspiré des générations de lecteurs… et transformé de longs trajets en train, des lectures dans le lit et des après-midi pluvieuses en portails vers de nouveaux mondes inoubliables et dans les profondeurs de nos propres peurs.
Mais ses histoires -irrésistibles et impossibles à lâcher- sont une des raisons pour lesquelles Pen America a décidé d’honorer Stephen ce soir.
Stephen King est l’incarnation de trois des sujets que Pen America tient à cœur. L’écrivain en tant qu’humanitaire. L’écrivain en tant que donneur de vie à des expériences jamais vues ni entendues. L’écrivain en tant qu’activiste, utilisant le pouvoir de l’écriture pour façonner le monde. L’humanitarisme de Stephen est une fusion de générosité sans limite avec une profonde humilité. À peu de choses près la mission au cœur de la communauté littéraire réunie dans cette salle.
Il y a près de 20 ans, Stephen a été renversé par une voiture durant une de ses promenades quotidiennes et n’a pas pu écrire pendant environ 10 mois. Peu de temps après, un proche ami a vu sa carrière de lecteur de livres audio prendre fin suite à une blessure à la tête. Ébranlé par la détresse de personnes créatives contraintes par leurs blessures, Stephen a fondé la Haven Foundation qui aide les artistes indépendants à faire face à leurs malheurs personnels. La Haven Foundation est un partisan de longue date du fonds de soutien Pen America pour les auteurs, qui assiste les auteurs qui doivent faire face à des temps durs, ceux qui doivent subir une opération ou suivre une thérapie, ont besoin d’une prothèse, d’une avance d’argent, de payer des frais d’avocat pour remplir une demande d’asile. Toute aide est strictement anonyme.
Cette année, grâce à la Haven Foundation, Pen America a aidé des auteurs en difficulté à recommencer à travailler après les ouragans de Porto Rico.
À travers son écriture, Stephen King est l’émissaire qui rassemble des histoires, identités et expériences différentes. Quand j’ai lu pour la première fois le scénario des Évadés, adapté d’une nouvelle de Stephen King (Shawshank Redemption, ndlr), j’ai déclaré que j’étais prêt à jouer n’importe quel rôle. Je l’aurais fait.
Stephen a apporté de la compassion et de l’humanité aux oubliés des prisons. Il a intéressé les lecteurs et un auditoire mondial à l’avenir et la liberté des prisonniers. Cette oeuvre a touché bien plus que ce que Pen America représente. Encourageant les personnes incarcérées à raconter leurs propres histoires à travers le programme d’écriture Pen America pour prisons et le prix littéraire Pen des prisons, le seul prix littéraire au monde qui reconnait les meilleures oeuvres écrites de l’intérieur des prisons.
Défendre l’accès aux livres dans les prisons, comme Pen America le fait dans l’état de New York, du New Jersey et à travers le pays avec la campagne ‘Le Droit de Lire’, est une cause incarnée par la bibliothèque de la prison de Shawshank, un lieu de refuge, de merveilles, et une évasion spirituelle.
Le portrait de Stephen du désir ardent de liberté dans Shawshank était tellement puissant que lorsqu’un dissident chinois s’est évadé de prison il y a quelques années, une des premières choses que les autorités de Beijing ont fait a été de bannir le terme “Shawshank” des réseaux sociaux et des recherches internet.
Ils savaient que les mots de Stephen King et son histoire avaient la force d’inspirer un pouvoir qu’ils étaient déterminés à écraser.
Finalement, mais difficilement, l’écrivain en tant qu’activiste. Ça a été un moment sombre dans l’histoire de Pen America, quand un des dirigeants de l’Iran a déclaré une fatwa contre l’auteur Salman Rushdie, avec des protestations et des incendies déclenchés par un dictateur enragé par un roman. Les librairies étaient effrayées pour la sécurité de leurs employés et des clients, ils ont dont commencé à retirer des rayons le livre des ‘Versets Sataniques’. Stephen King a appelé le responsable d’une grande chaîne asiatique de magasins et lui a posé un ultimatum : ‘Vous ne vendez pas les Versets Sataniques, vous ne vendez pas de Stephen King‘. Bien entendu le magasin a changé d’avis.
‘Vous ne vous pouvez pas laisser l’intimidation arrêter les livres’, a déclaré King. ‘C’est aussi simple que ça. Les livres sont la vie.‘
Fervent opposant à la censure, Stephen est sans détour quand il s’agit du danger de retirer les livres des étagères des écoles et des bibliothèques. À une époque de nouvelles attaques envers la presse et la vérité, Stephen utilise ses prises de parole publiques comme vecteurs sans filtre de désaccord. Il le dit comme il le voit et est devenu porteur de vérités parfois difficiles et sans maquillage. Certaines personnes ne le comprennent pas… ou préfèrent ne pas entendre la vérité.
Quand le président ‘Donald Trump’ a bloqué Stephen King sur Twitter, Stephen n’a pas attendu ! En réponse, il lui a déclaré l’avoir bloqué de son prochain film (rires dans la salle).
Stephen est un champion et une personne exemplaire de ce que Pen America représente. La liberté d’écrire.
Merci Stephen pour ces contributions sans frontières aux écrivains, aux lecteurs, et à tous ceux qui croient que la peur peut te tenir prisonnier, mais que l’espoir peut te libérer.”
*entrée de Stephen King*
Stephen King
“C’est la meilleure intro que j’ai jamais eu ! Et probablement que j’aurai jamais. Avant de continuer, j’ai juste une petite histoire à vous raconter.
Vous savez, ma femme et moi vivons un quart de l’année en Floride. Nous venons d’avoir 65 ans et c’est la loi (rires dans la salle, la Floride est réputée pour héberger beaucoup de retraités, ndlr)… Ma femme s’occupe du plus gros des courses. Elle est là ce soir. C’est mon inspiration. Elle fait les grosses courses parce qu’elle ne me fait pas confiance pour ça mais quand elle a juste besoin de papier toilette, elle m’envoie au magasin. Et donc j’étais à Publix un jour et en tournant au coin d’une allée, une femme arrivait dans l’autre sens – vous pouviez deviner qu’elle habite en Floride rien qu’à ses chaussures en cuir très sombre et son chapeau de golf… – Et elle m’a regardée et m’a dit ‘Je sais qui vous êtes’. Je lui ai dit ‘Je sais qui je suis aussi’. Elle a dit ‘Vous écrivez ces choses terrifiantes. Vous écrivez ces livres terrifiants. Comme Simetierre. Certaines personnes aiment ces livres. Certaines personnes aiment et vous faites ce que vous voulez mais j’aime les choses réjouissantes comme Les Évadés.’ Je lui ai dit ‘J’ai écrit ça’ et elle a répondu ‘Non ce n’est pas vrai’.
Bref. C’est un prix merveilleux et je veux remercier Morgan Freeman et tous ceux honorés ce soir. Wa Lone et Kyaw Soe Oo pour leur courage et leur défense d’un journalisme honnête. Carolyn Reidy, de mon éditeur, pour son soutien. Et Nan Graham, qui a édité tous mes livres. Elle m’a demandé de ne pas les citer mais je suis entouré par des femmes supers chez Simon & Schuster, qui m’ont aidé à m’occuper de mes affaires. Carolyn Reidy en fait partie. Nan Graham aussi. Susan Moldow est là ce soir. Elle est géniale. Katie Monaghan est là ce soir. Roz Lippel. Et elles ont aidé à faire de moi une meilleure personne, en même temps qu’un meilleur écrivain. Et ça compte double pour ma femme.
Et je voudrais particulièrement remercier les jeunes gens du lycée Marjory Stoneman Douglas, pour leur plaidoyer féroce et leur travail acharné dans le sillage d’encore une horrible fusillade dans une école, qui n’est même plus la dernière en date. Ils se sont admirablement levés face aux désapprobations des extrémistes en faveur des armes dans ce pays, qui semblent penser que le sacrifice occasionnel par le sang est acceptable dans la défense du second amendement qui a été écrit à une époque où des armes telles que le AR-15 et le Bushmaster XM-15 n’existaient pas. Donc je me sens en très bonne compagnie ce soir.
Vous savez je suis juste un type qui aime les livres depuis l’enfance, quand un grand panneau vert Bookmobile arrivait dans ma petite ville du Maine une ou deux fois par mois, apportant de l’aventure, du mystère, de l’horreur, de l’amusement, et des nouvelles du monde extérieur. J’ai rencontré ma femme dans une bibliothèque, et croyez moi il n’y a pas meilleur que les livres comme base à un long mariage. Nous sommes ensemble depuis presque 50 ans, alors je peux affirmer que ça crée des liens.
J’ai été extrêmement bien récompensé tout du long. Et extrêmement chanceux. Chaque année uniquement aux Etats-Unis 800 000 livres sont publiés, et très peu d’hommes et de femmes vivent de leurs écrits. Le pourcentage de lecteurs est relativement petit comparé à la population totale. Imaginez juste une minute à toutes les personnes que vous voyez dans la rue chaque jour, fixant leur téléphone en marchant dans la rue, ou avec leurs écouteurs.. et pensez au peu qui fixe une page imprimée.
Pourtant, lire est puissant. Depuis mes débuts en tant que professeur de lycée, j’ai répété aux enfants que ceux qui lisent peuvent apprendre à écrire. Et que ceux qui peuvent faire les deux, pourront réussir dans le monde. Les lecteurs apprennent ce qui est juste et les auteurs apprennent à réfléchir. Ce sont les éléments cruciaux que n’ont pas ceux qui sont étroits d’esprit et mesquins. Un trop grand nombre d’entre eux sont dans des positions de pouvoir. Leur pauvreté de réflexion qui s’exprime au mieux sur ce lieu d’intelligence morte nommé Twitter, où la pensée claire et la gentillesse sont trop souvent remplacées par des chamailleries de cour d’école. Sans parler d’une mauvaise orthographe et grammaire.
Ma femme et moi croyons -parce que nous sommes des gens pleins d’espoir j’imagine- qu’agir localement changera éventuellement les choses à grande échelle. Donc nous donnons principalement à notre État, et en grande partie aux bibliothèques de petites villes. Nous soutenons la liberté d’expression car sans elle, les pourvoyeurs de fake news -ces faux prophètes enragés- seront trop pris au sérieux, par trop de monde. Tabby et moi avons élevé trois enfants, qui sont ici ce soir, quatre petits enfants, dont l’un d’entre eux est ici ce soir… Nous les encourageons à lire les livres bannis, parce que -j’ai l’ai dit encore et encore et encore- : ce que les gens au pouvoir ne veulent pas savoir, c’est ce que vous devez trouver.
Je n’aime pas trop parler de ce que nous faisons en philanthropie. Je n’aime même pas le mot. Pour moi ça sonne comme si nous avions quelque chose à avoir avec la collection de timbres. J’ai été élevé comme méthodiste et deux des commandements de la Bible avec lesquels j’ai grandi étaient ceux-ci : prie dans ton placard, pas dans la rue, et ne laisse pas ta main droite savoir ce que ta main gauche fait. Même être ici me semble… Pas mal, exactement, car c’est la deuxième fois que j’ai la chance de porter ce costume de singe…
Être ici ne semble pas mal, exactement, mais manquant d’humilité, et donner devrait être humble. Et en même temps, c’est important de servir d’exemple. D’être capable de dire ‘Je fais ça car c’est ce qui est juste, et c’est important’. Si vous ressentez la même chose -et parce que vous êtes là ce soir, je suis sûr que c’est le cas- alors allez, et faites de même.
Merci.”
À PROPOS DU PEN AMERICA 2018
A l’annonce de cette cérémonie, Andrew Salomon, auteur et Président de PEN America, a écrit dans son communiqué de presse : “Familier des ténèbres, Stephen King nous a influencés pour faire face aux forces obscures à travers sa riche prose, sa généreuse philanthropie et sa défense spontanée de la liberté d’expression. Stephen utilise son statut d’un des écrivains les plus appréciés du pays pour s’exprimer sur les menaces grandissantes qui pèsent sur la liberté d’expression et la démocratie, et courantes de nos jours. Sa narration fertile dépasse nos frontières et captive une multitude de lecteurs, jeunes et moins jeunes dans ce pays et le monde entier, au-delà de la sphère politique. Il nous aide tous à confronter nos démons, que ce soit un clown dansant ou un président qui tweet.”
Le Literary Service Award se remet à un écrivain “dont l’œuvre nous aide à comprendre et interpréter la condition humaine, créant de l’empathie et stimulant l’imagination même dans les heures les plus sombres“. Parmi les autres lauréats de cette récompense, on compte notamment Stephen Sondheim, J.K. Rowling, Tom Stoppard, Salman Rushdie, Toni Morrison et Margaret Atwood.